Rencontre // Baden Baden // Poème brut

 Rencontre // Baden Baden // Poème brut

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Nous avons rencontré Eric, Julien et Gabriel de Baden Baden, avant la sortie de leur album Mille Eclairs. Nous avons discuté de leur évolution musicale depuis Coline, leur précédent album, et de la façon dont le français s’est imposé naturellement à eux, avant d’évoquer la richesse de la scène hexagonale actuelle.

Pourquoi avez-vous choisi d’appeler votre nouvel album Mille Éclairs ?

Eric : Je crois que ça résumait bien la ligne de conduite qu’on essaie d’avoir sans trop l’intellectualiser, à savoir de rester très instinctifs. Au niveau des textes et de ce qu’évoque le son, on ne sera jamais descriptifs en imposant des lieux et des personnages très précis, on va préférer évoquer des émotions, des choses assez brutes. Ensuite, libre à l’auditeur de construire toute une histoire autour qui fera écho à ses propres expériences. Dans nos chansons, soit par de longs instrumentaux, soit par nos textes, on essaie d’évoquer des choses fulgurantes. Souvent, quand on est très ému ou qu’on a une grande peur, on n’a pas besoin de parler, ça se lit dans nos yeux.

Quels sont les thèmes abordés dans ce nouvel album par rapport à Coline ?

Eric : Ce sont peut-être des thèmes légèrement différents, car on avance en age et en expériences de vie. Mais je pense que cela tourne toujours autour de de la relation avec le monde extérieur, avec l’environnement, avec l’autre. On évoque aussi la relation de couple, le monde qui nous entoure, avec plein de peurs, de solitude, de choses contradictoires et de fuites. On essaie d’exprimer des choses jaillissantes comme ça le plus sincèrement possible en intellectualisant le moins possible.

Julien : Avec autant de peur que de témérité.

C’est quel genre d’atmosphère, quelque chose de sombre du coup ?

Eric: On n’aime pas la tristesse pour la tristesse, un truc pesant. Mais en même temps, on ne fait pas de la musique pour faire la fête. Après, si on danse sur nos chansons, on sera contents. C’est un entre deux complexe et contradictoire, un mélange d’envie de grandes joies, de grands horizons, de grands fantasmes et en même temps d’angoisses quotidiennes. On a envie de se libérer de ça pour en faire un truc fantasmé, plutôt que quelque chose de triste. Souvent, paradoxalement, plus la musique est triste plus ça soulage. C’est quelque chose qui s’évacue et il n’y a rien de pire que de garder en soi cette tristesse, car elle risque de mal évoluer en général si on la garde trop. On fait donc de la musique mélancolique et nostalgique mais le fait d’en faire quelque chose d’un peu libératoire c’est plutôt agréable comme sensation.

Sur votre EP 78 il y avait Alice, sur votre premier album il y avait Coline. Cette fois, y a-t-il un personnage féminin en filigrane ?

Eric : C’est un truc qu’on n’a pas voulu non plus multiplier, on ne va pas faire tous les prénoms féminins sur toute notre carrière ! Alice et Coline, c’étaient des personnages fictifs, la sonorité du mot nous plaisait et permettait de construire une histoire autour. Je ne connaissais pas d’Alice, en réalité c’était sûrement le mélange de plusieurs personnes. On ne voulait pas être systématiques. Ce serait étrange qu’à chaque fois on mette des prénoms dans les textes. Mais finalement, le principe est le même: on a autant envie de s’adresser à des personnes réelles que de brouiller les pistes et faire des assemblages de plusieurs histoires, avec quelque chose de jamais autobiographique, mais jamais complètement l’inverse non plus.

Cette fois quel a été votre processus de composition ?

Julien : Avec Eric, on commence toujours par les instrus. Et après, Éric écrit les paroles. On compose chacun un max de notre côté et ensuite, on échange. Parfois, ça fait des morceaux, et d’autres fois, c’est juste une idée qui est avortée.

Dans quel contexte avez-vous composé ?

Eric : On n’a jamais eu l’habitude de composer à plusieurs, de se mettre dans le même lieu et d’échanger. Dans un premier temps, on a besoin d’être seul avec soi-même. Ça permet de laisser couler l’inspiration, de se détacher vraiment de tout jugement et d’aller sur des terrains inattendus. Dans un premier temps c’est toujours dans notre intimité. On bricole chacun beaucoup à la maison et régulièrement on essaie de s’envoyer des séries de 5, 10 ou 15 chansons ou morceaux de chansons et après on voit ce qui plaît. Pour moi, c’est très agréable de recevoir des instrumentaux de Julien. Ça permet d’avoir une fraîcheur. Quand on travaille sur un morceau, on a l’inspiration qui prend le dessus, puis très vite on devient besogneux, on veut tout bien modeler, il y a un essoufflement qui s’installe. Cette fois, le fait de recevoir tout un tas d’instrumentaux de Julien et de vraiment piocher dans ce qui m’inspire très instinctivement, ça a permis de faire quelque chose qu’on avait peu fait jusqu’alors, d’intégrer le texte ou la mélodie-chant très facilement. Je trouvais des choses qui me plaisaient et m’excitaient et du coup on n’avait pas ou peu besoin de retravailler l’arrangement. Après, le texte et la mélodie du chant amènent des idées pour remodeler l’instrumental et le structurer. Souvent, le texte part très tôt dans la composition de phrases clés, trouvées sans trop réfléchir, de gimmick en fonction de la façon dont m’inspire l’ambiance sonore. Ça donne des phrases un peu instinctives, on ne sait pas trop de quoi ça va parler au final. Sur Hiver, c’est le premier truc qui m’est venu « mille éclairs dans tes yeux ». Petit à petit, le texte vient se structurer en dernier.

C’est vraiment la poésie des mots qui t’inspire ?

Eric : J’aime beaucoup l’écriture d’un Dominique A et l’idée que rien qu’avec deux ou trois mots, une expression inventée très imagée, on va évoquer mille choses. On parlait tout à l’heure d’un de ses morceaux qu’on aime beaucoup, Le Courage des Oiseaux. C’est une espèce de métaphore, un parallèle avec le courage des humains. On imagine des oiseaux dans le vent glacé, du coup c’est une image, il n’y a pas tout un couplet. Il arrive à expliquer des choses complexes en une expression. Il y a une émotion, une idée très simple et très évocatrice. En général dans les textes, c’est ce que j’essaie de réaliser : en une expression, retrouver plein de choses.

« Sur cet album, le français est devenu une évidence »

Il y a un coté très rêveur qui transparaît dans votre musique. Ce serait quoi pour vous le monde imaginaire idéal dans lequel vous aimeriez voyager et composer ?

Julien : Je me sens bien dans le monde dans lequel je suis…

Eric : Il n’y a pas de lieu en particulier. C’est peut-être lié à nos caractères, on est très introvertis, du coup, plus que de formuler, on va être dans la réflexion, l’observation. On n’est pas des grands voyageurs, on n’a pas fait trois fois le tour du monde, c’est plus un imaginaire, c’est souvent lié à des rencontres, à des histoires humaines plus qu’à un lieu.

Avant, vous aviez aussi des morceaux en anglais. Pourquoi avez-vous décidé de vous focaliser essentiellement sur des chansons en français ?

Eric : C’est quelque chose qui nous est venu petit à petit. Sur le premier album, comme à la base on a d’importantes influences anglo-saxonnes, on a eu envie de sonner dans cette vague-là. Dans un premier temps, on essayait à chaque fois par jeu de confronter le français avec cette instrumentation et de plus en plus, là où sur Coline on trouvait que ça collait pas, qu’il y avait un truc bâtard, on a commencé les premières démos et c’était systématiquement du français qui nous venait. On a pris beaucoup de plaisir et je ne sais pas si on a complètement arrêté de se mettre des barrières, ou qu’il y a eu une meilleure maîtrise de l’écriture, un truc un peu automatique qui se met en place qui s’est façonné petit à petit. A la fin, on s’est retrouvés avec que du français, en se disant que c’était dommage de ne pas avoir un petit peu d’anglais ! Quand je me suis remis à écrire en anglais, il y avait un truc qui ne marchait plus, le français était devenu une évidence.

Et quelles sont ces influences anglo-saxonnes ?

Eric : Il y en a un milliard qu’on pourrait citer ! J’ai découvert sur le tard Blonde Redhead et je suis fan, c’était un des meilleurs concerts de ma vie… Je me reconnais bien dans ce truc assez pudique, assez introverti et en même temps cette espèce de générosité très sincère sur scène, pas du tout démonstrative. Musicalement, c’est super riche, il y a plein de détails, des mélodies assez évidentes mais jamais des trucs basiques, toujours des riffs vachement brillants, quelque chose qui passe très naturellement. Il y a aussi Timber Timbre… C’est ce qui nous plaît beaucoup dans le terme « pop », cette espèce de simplicité apparente, où quand on écoute pour la première fois, c’est accrocheur et si on fouille un peu, il y a mille arrangements. On aime bien que tout coule et que rien ne soit forcé.

Au niveau de la scène française vous vous trouvez proches de quels artistes ?

Eric : Je pense à Dominique A encore une fois. On est d’une génération de plus de 30 ans, on a été marqués par tout ça, mais de là à se sentir proche d’un artiste qui a énormément de bouteille et plein de succès, ce serait un peu prétentieux. C’est peut-être plus une influence. C’est difficile, car le défaut d’un artiste, c’est d’être focalisé sur son œuvre. On est hyper ouverts à écouter plein plein de choses et ce qui est intéressant aussi c’est que la scène française actuelle est hyper éclectique, du coup il y a plein de groupes qu’on aime beaucoup, même des très récents, et qui sont inspirants décomplexés, débridés… inconsciemment on s’en nourrit aussi un petit peu.

Lesquels par exemple ?

Julien : La Femme, même si ça ne ressemble pas du tout à ce qu’on fait et qu’ils sont beaucoup plus jeunes ! Leur album est super frais, un truc très fort. Pourtant à la base musicalement, c’est pas du tout ce que j’aime, mais c’est un des groupes que je trouve les plus cohérents, ils sont vraiment bons !

Et Fauve ?

Eric : Fauve, c’est génial car il y a une vraie personnalité, une sincérité et fulgurance. Mais je trouve qu’il y a eu un tel engouement médiatique que ça a perturbé le propos artistique.

Julien : J’ai adoré quand ils ont fait leur premier clip tourné au caméscope avec une barque sur l’eau, sur leur premier ep, il y avait un côté très do it yourself et les morceaux bricolés, je trouvais ça super. Mais c’est vrai que ça a pris une telle ampleur qu’on a un peu lâché.

Avec quels artistes français vous aimeriez partager la scène ?

Julien: On va partager des scènes avec Isaac Delusion. Je surkiffe leur album, il est génial ! Quand on écoutait, on pensait que c’était des Américains ou des Suédois. Quand on nous a dit que c’était français, on a halluciné !

Eric: On va aussi faire une scène avec Lætitia Sheriff, et avec Mina Tindle. Ce sont des groupes dans lesquels on se reconnaît.

Gab: On a tourné avec Pendentif, on s’est croisés aussi avec Aline, La Femme… Parfois, on nous met dans le même panier, alors qu’on ne fait pas la même musique, c’est rigolo. On n’a jamais beaucoup de temps pour discuter avec les autres groupes, car tout le monde est dans le stress de son concert et après tout le monde est alcoolisé !

Votre tournée va commencer en février, comment avez-vous préparé ce live pour lui donner une autre ampleur sur scène ?

Eric : On est en plein dans cette réflexion là. On répète depuis un mois.On vient de faire le chantier des Francos, le sujet c’est de retranscrire l’album sur scène. Au départ, on se dit qu’on va mettre sur scène tout ce qu’il y a sur l’album. Mais en fait, pas du tout. Le live, ça va toujours obliger à privilégier l’essentiel dans l’arrangement, une énergie, quelque chose de plus direct. On se rend compte que là où c’est équilibré sur le disque, sur scène, on veut avoir le côté vibration. Souvent, ça va être épuré. On a plein d’envies, on a envie d’offrir un spectacle sur une heure qui soit le plus cohérent possible. Des morceaux qui s’enchaînent avec des samples, installer une bonne ambiance musicale, plus que raconter deux trois conneries entre chaque morceau, ce qu’on n’a jamais su faire de toute façon…

La playlist de Baden Baden

Timber Timbre – This Low Commotion
Laura Veirs – July Flame
Erlend Oye  – This Bad Guy Now
Jon Hopkins – Open Eye Signal
Feu! Chatterton – A l’aube

Propos recueillis par Aurélie Tournois // Photographe: Jacques de Rougé
 
Baden Baden sera en concert le 25 mars au Café de la Danse à Paris.
 

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