Hinds : « Si on peut aider d’autres groupes de filles à entrer dans la lumière, on se battra pour elles ! »
Nous avons rencontré Ana (chanteuse) et Ade (bassiste) de Hinds lors de leur dernier passage à Paris pour discuter de leur deuxième album autour d’un petit café. L’occasion de revenir sur leurs inspirations et aspirations en tant que groupe de rock au caractère girl power pleinement assumé.
Que signifie le titre de votre deuxième album, I Don’t Run ?
Ana : Les titres de nos albums sont un peu comme des instantanés de l’état d’esprit dans lequel on se trouve au moment où on les compose. Avec Leave me alone, tout s’est fait si vite que cette fois-ci, on s’est dit : « On arrête de courir. On veut réfléchir à tout, dans les moindres détails. » On voulait aussi se démarquer par rapport à toutes ces petites phrases liées au mode de vie rock comme « Live Fast Die Young », « Now or never »… On n’est pas du tout comme ça. On veut vivre pleinement, pas à pas.
Vous avez donc pris votre temps pour le composer ?
Ade : Oui. Pour le 1er album, tout s’était fait dans la précipitation et c’était très stressant. Alors, pour composer celui-ci, on a décidé un an à l’avance de faire une pause d’au moins un mois et demi pour nous concentrer dessus. Ça a vraiment fait une différence. On a pu réfléchir au son qu’on voulait avoir pour chacune de nos chansons.
Qu’est-ce qui vous a inspirées ?
Ade : On a tellement tourné (avec Twin Peaks, Shannon and the Clams, The Growlers, Black Lips, Lemon Twigs…) qu’on s’est transformées en véritables éponges. Ce sont toutes ces influences qu’on entend dans l’album.
Cette fois, vous avez également collaboré avec Gordon Raphael, qui a produit les deux premiers opus des Strokes. Comment êtes-vous entrées en contact avec lui ?
Ana : C’est lui qui nous a écrit il y a 4 ans. À l’époque, on s’appelait encore Deers et on venait de sortir notre démo. Il nous a dit qu’il adorait ce qu’on faisait et a proposé qu’on se rencontre lors d’un festival dans lequel on se produisait. Il était charmant et on est restés en contact. Pour ce deuxième album, on voulait faire un véritable un bond en avant par rapport au premier. Mais on ne voulait ni le faire produire par un ami ni par un immense producteur qui aurait dicté sa loi. Comme Gordon Raphael appréciait nos premières chansons, on s’est dit qu’il y avait une chance qu’il aime également les nouvelles. Et puis, il nous rassurait.
De quelle façon vous a-t-il conseillées ?
Ana : Il nous a beaucoup aidées pour le chant. Il nous faisait chanter a capella, et dès qu’il ne comprenait pas ce qu’on disait, il nous arrêtait et nous demandait de répéter. Ça a été très utile parce qu’on a un accent espagnol et qu’on n’utilise pas forcément les bonnes expressions en anglais. Grâce à lui, nos paroles sont plus compréhensibles aujourd’hui.
Hinds ne serait pas Hinds s’il y avait eu un homme parmi nous.
A propos de paroles, deux chansons ont particulièrement capté mon attention : Linda et Ma nuit.
Ana : Linda est une chanson très triste qu’on a écrite très vite. D’habitude, on met beaucoup de temps pour écrire une chanson, mais Linda s’est faite très facilement. Elle raconte ce moment où tu te rends compte que la personne que tu aimes t’échappe, bien qu’elle soit juste à côté de toi. Quant à Ma nuit (chantée en espagnol et en français – ndlr), c’est la seule chanson qui parle de notre vie sur la route. C’est une chanson très intime sur le fait qu’amour et tournée ne font pas très bon ménage…
Avez-vous envie d’écrire plus de chansons en espagnol ou en français ?
Ana : Pourquoi pas ! C’est amusant d’essayer de nouvelles choses. Je ne pense pas qu’on changera de langue principale, parce qu’il est très important pour nous que le plus de personnes possibles comprennent nos paroles. Mais pour des petites chansons, bien sûr.
Êtes-vous restées proches de la scène rock espagnole ?
Oui, nous en sommes très proches. D’ailleurs, nos meilleurs amis sont toujours Los Nastys et The Parrots.
Le clip de votre morceau Finally Floating a été tourné à Madrid, n’est-ce pas ?
Ade : Oui, c’est le premier clip qu’on a tourné à Madrid, ou en tout cas la première vidéo dans laquelle on la reconnait bien. On ne pensait pas que cette ville était particulièrement photogénique, mais en voyant les premières images pendant le tournage, on les a trouvées magnifiques. Ceux qui ont fait le repérage des sites de tournage ont fait un super boulot ! On est très fières de notre ville !
Est-ce que cette démarche était une façon de vous rapprocher du public espagnol qui vous a plutôt violemment rejetées à vos débuts ?
Ana : Non, car nous ne sommes plus aussi critiquées qu’avant. En Espagne, le marché de la musique est plus lent que dans le reste de l’Europe. On a joué dans un festival à Paris alors qu’on n’avait que deux chansons. En Espagne, ça n’aurait pas été possible. En plus, le sexisme est très important là-bas. On est très loin de la parité. Mais maintenant qu’on a sorti deux disques, qu’on a prouvé notre légitimité et notre sincérité, le public espagnol commence à nous accepter.
Est-ce que c’était un choix délibéré de votre part de rester entre filles ou bien ça s’est fait naturellement ?
Ana : C’est une question fondamentale qu’on s’est posée, Carlotta et moi, en créant le groupe. Hinds ne serait pas Hinds s’il y avait eu un homme parmi nous. À l’époque, beaucoup de garçons de notre entourage jouaient dans des groupes de rock depuis au moins 5 ans. Si bien qu’on était un peu complexées par rapport à eux. On avait besoin de travailler avec quelqu’un qui ne nous jugerait pas. Et c’est comme ça qu’on a commencé à composer toutes les deux. Quand on a réalisé qu’on aurait besoin d’un bassiste et d’un batteur, on a envisagé de faire appel à nos amis musiciens. Mais comme on était fans d’eux, leur avis auraient forcément pris le dessus sur le nôtre. Donc il était très important pour nous d’être entre filles et de nous sentir à égalité, pour pouvoir créer à partir de rien.
Vous encouragez les autres filles à monter leur groupe ?
Ana : Bien sûr ! Le milieu de la musique est très sexiste et les femmes y sont encore trop peu nombreuses. Si on peut aider d’autres groupes de filles à entrer dans la lumière, on se battra pour elles !
La playlist de Hinds :
Shannon and the clams – The Boy
Yellow Days – Your Hand Holding Mine
Los Nastys – Tu Me Haces
QTY – Michael
The Clash – Death Or Glory
Propos recueillis par Kirana Chesnel, photo par Jacques de Rougé