Kasabian et Slaves au Zénith pour sauver le rock ?
La combinaison s’annonçait gagnante dès le départ : Kasabian, que j’écoute religieusement depuis leur premier disque (sorti en 2004) et dont j’ai rarement raté un concert à Paris, et Slaves, dont les deux albums parfaits sont parmi les meilleures choses qui soient arrivées à la musique anglaise depuis bien longtemps. Mais le rapprochement entre les deux formations avait aussi quelque chose de contradictoire.
Les gars de Kasabian ont un avis assez tranché sur l’état actuel de la musique : « guitar music is dead« et « rock’n’roll is dying out« , rien que ça. Ils expliquaient récemment dans la presse que leur dernier album (le pourtant très electro-pop For Crying Out Loud) était là pour sauver le rock. Et faire jouer les gars de Slaves en première partie était probablement le moyen le plus efficace de nous prouver le contraire !
Les deux Anglais démarrent leur set par le plutôt méconnu Ninety Nine, avec une basse au son exécrable mais une énergie et une spontanéité dignes d’une petite salle underground. Dans la fosse, seuls quelques concitoyens ivres morts sautent sur place et connaissent une partie des paroles. L’ultra-efficace Fuck The hit Hat peine à faire décoller quelques pogos, et le décalage se fait de plus en plus grand entre l’attitude du groupe et celle du public. Isaac quitte régulièrement sa batterie pour venir improviser des petits discours (« On est que deux dans Slaves, parce que personne ne voulait jouer avec nous ») ou se vautrer sur le devant de la scène. Malgré ce public beaucoup trop sage, pas de compromis ou de tentative d’adoucissement pour plaire au plus grand nombre. La setlist fait même abstraction de titres pourtant emblématiques comme Cheer Up London, Sockets et Spit It Out. Le dernier disque n’est pas spécialement mis en avant et les musiciens se cassent au bout de 25 minutes, dans un déluge de distorsions indescriptibles. Si c’est ça le rock’n’roll, on se demande ce qu’il faut sauver !
Il est 21h, et c’est à Kasabian de venir nous sortir de cette ambiance d’aéroport que dégage le Zénith (entre les publicités sur écrans géants, les grands couloirs sans vie et la queue pour les jambons beurres à 8€) et nous prouver qu’on est pas venus pour rien. L’arrivée du groupe est précédée de plusieurs jingles de cinéma enchaînés (20th Century Fox, Universal…) ce qui colle à l’image ultra-mégalo du groupe (On comprend le message « préparez vous à en prendre plein les yeux ») et fait bien rire tout le monde. Le titre qui ouvre le concert (et le dernier album), Ill Ray (The King) est un sacrément bon moyen de rendre tout le monde surexcité dès le départ. Enfin un peu d’action ! Les premiers rangs sont toujours constitués à 50% d’Anglais saouls comme la Pologne qui titubent en criant, mais au moins toute la salle chante et danse dès le départ. Je remarque aussi que tous les gens dans les gradins sont debout, ce qui est loin d’être systématique. Ça va le faire, c’est parti pour un vrai moment de rock’n’roll explosif et imprévisible ! Pourtant assez vite, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche.
Commençons par les (nombreux) points positifs : la setlist est impeccable (l’enchaînement Eez-Eh/Underdog/Shoot The Runner en début de set est d’une efficacité hallucinante), les petites surprises entre les morceaux donnent le sourire (des interludes sympa dont une petite reprise de Daft Punk en guise de clin d’œil pour le public français), le centre de la fosse est un bordel constant et le groupe se donne à fond. Qu’est-ce qui pourrait faire de cette soirée autre chose qu’un très bon moment ?
Après Slaves, je ne peux pas m’empêcher de chercher le côté rock’n’roll de ce concert. Chaque élément du show semble avoir été minutieusement préparé, les moments « fun » sentent le réchauffé et même l’attitude du groupe me paraît forcée. Pire que ça : ceux qui ont le culot de vouloir « sauver la guitar-music » ne jouent plus de guitare ! Il y a tellement de sons pré-enregistrés sur certains morceaux que le bassiste et le guitariste ne font presque rien. Du coup, le son est propre (pour un Zénith) et le public chante les « Aaah » et les « Oouuh » bien sagement en frappant des mains en rythme, dans une ambiance parfois proche d’une rencontre sportive. Je réalise tout d’un coup que je ressens la même chose que le jour où j’ai fait l’erreur d’aller voir Muse au Parc des Princes : j’étais venu chercher les riffs des premiers albums et je me suis retrouvé à écouter des tubes ultra-produits qui plaisent à toute la famille. Kasabian s’applique ce soir à jouer ses titres les plus accessibles, à faire du grand spectacle où il n’y a jamais rien qui dépasse.
L’attitude du chanteur reste aussi détachée qu’à son habitude, et ses déclarations d’amour au public sonnent aussi faux qu’un discours politique. Ça n’est pas si grave, on a l’habitude du style hautain du groupe depuis bien des années et on en redemanderait presque, mais est-ce trop demander que de chercher un petit peu d’honnêteté dans leur performance ? Le rappel du groupe est aussi énergique et carré que le reste du concert, et à voir l’hystérie sur la majorité des visages, j’ai parfois l’impression d’être le seul qui ne s’amuse pas. Tant pis, je retournerai voir Slaves dans des salles à taille humaine et je continuerai d’écouter Kasabian chez moi.
Je ne pense pas que ce concert était mauvais, une grande partie des gens avec qui j’en ai discuté ont passé un très bon moment et moi-même je lui ai trouvé plein de qualités. Ça n’était tout simplement pas ce que je cherchais. En 2007, j’avais adoré leur passage au Bataclan où on avait foutu un bordel tel que le groupe avait dû faire une pause de 10 minutes, le temps que le staff replace les barrières du premier rang. 10 ans plus tard, j’assiste à un concert « best of » beaucoup trop lisse et prévisible qui ne me fait ressentir aucune émotion, le tout devant un public trop sage à mon goût.
Le grand coupable de cette soirée est-il simplement le lieu insipide dans lequel tout se passe ? C’est certainement en partie le cas (sérieusement, vous avez déjà entendu quelqu’un dire « Le Zénith ? J’adore cette salle ! Le son est super et il y a toujours de l’ambiance ! »), mais pas seulement. Je me souviens d’un concert des Hives dans cette salle avec Gogol Bordello en première partie, où tout était anarchique et génial du début à la fin. Je me souviens de Didier Wampas qui y a assuré la première partie de Madness en jouant sur une guitare « Hello Kitty » à 200€, qui avait fait monter des gens sur scène pour chanter et foutre le bordel. C’est rare, mais rien n’est impossible… surtout quand on a envie de sauver le rock’n’roll !
SETLIST
KASABIAN
Ill Ray (The King)
Bumblebeee
Eez-Eh
(Around the world outro)
Underdog
Shoot the Runner
Days Are Forgotten
(The Ecstasy of Gold by Ennio Morricone intro)
You’re in Love With a Psycho
Wasted
Take Aim
(The Doberman intro)
Club Foot
Re‐Wired
Treat
Empire
Bless This Acid House
Stevie
L.S.F.
Rappel
Goodbye Kiss (acoustic)
Comeback Kid
Vlad the Impaler (with Noël Fielding)
Fire
Texte : Jacques de Rougé / Photographies : Laurent Besson