Rencontre // No Ceremony /// // « les côtés les plus sombres de l’amour peuvent être fascinants »
Aucune bio sur leur site officiel, pas une seule ligne de description sur leur page Facebook. No Ceremony/// sont du genre discrets. Tellement discrets, qu’ils passent leurs interviews à expliquer ne pas beaucoup aimer parler de leur musique. C’est donc avec un peu d’appréhension qu’on a rencontré les Mancuniens à Paris fin 2013. Alors qu’on s’attendait à parler tout seuls, Victoria, Kelly et James, tout sourire, nous ont révélé au cours d’une interview-fleuve les émotions à l’origine de leur création musicale, sans artifice.
Morceaux choisis.
Vous avez dit préférer parler de l’essence-même de votre musique plutôt que de donner des détails sur tout ce qui l’entoure. Comment définiriez –vous votre objectif créatif et le son que vous souhaitez atteindre ?
Kelly : Je ne crois pas qu’on ait besoin de définir notre musique, on préfère en parler. Je pense que le fait de définir sa musique la limite, dans un sens. On a toujours essayé de se limiter le moins possible et de poursuivre un fil directeur dans tous nos morceaux. De traiter chaque morceau comme une identité propre et le travailler jusqu’à en faire le meilleur possible.
James: Je pense qu’il y a une atmosphère, des émotions, les gens se laissent aller, un peu comme dans le dubstep. C’est aussi pour ça qu’on travaille beaucoup nos visuels. On veut créer un ensemble complet pour être immergés dans une expérience.
Le ressenti est donc le plus important ?
Victoria : Oui je pense, on est dans l’émotivité. On essaye de souligner les émotions universelles. On veut aller profondément dans chaque genre de musique et ne pas coller d’émotions-étiquettes à ceux-ci.
James : Comme on s’autoproduits, on a certaines références en terme de producteurs. Kanye West et These New Puritans, par exemple, font des choses très différentes. Nous aussi, on s’inspire de différents morceaux. C’est difficile de définir un but précis. On ne poursuit aucune logique. On suit un fil directeur et on se dit : là, ça sonne bien. A la fin, on obtient un morceau, et ce n’est qu’après qu’on peut tenter de comprendre d’où il vient et ce qui nous a inspiré dans cette expérience créative.
« On a réalisé une grande partie de l’album dans des hôtels à Hambourg ou des toilettes au Luxembourg »
A quel moment sentez-vous que le moment est venu de cesser de travailler un morceau et de l’enregistrer ?
James: On n’a pas une façon particulière de bosser. En général, j’apporte une trame de morceau pour le travailler avec le groupe, on le déconstruit et on le produit. Certains des chœurs sont improvisés. Sur FeelSoLow, les chœurs et les paroles sont les derniers éléments qu’on a enregistrés. Away From Here a été écrite beaucoup plus vite, mais on a mis davantage de temps à le reconstruire ensemble. Je crois que c’est assez libérateur de ne pas suivre de processus, mais de faire évoluer nos morceaux en fonction de la progression des idées de chacun. Hurtlove, par exemple est un morceau qui durait à la base six minutes. On a brutalement coupé vingt secondes, puis changé les chœurs. Au final, le morceau ne ressemble plus tout à l’original. Je crois que c’est une façon très excitante de faire de la musique. Tu approches avec un point de vue dénué de sentiments, tu avances avec aucune attache. Parce que, sinon, tu peux avoir envie de défendre ton propre morceau, et du coup influencer le morceau. On a tous envie de mettre de sa personnalité dans sa musique.
Concernant vos textes, avez-vous certaines obsessions?
James : Je pense qu’on explore beaucoup les relations humaines et leur influence sur la personnalité, la distance qui grandit parfois entre les autres et soi. Tu peux découvrir différentes facettes de ta personnalité et aller dans différents extrêmes. Comme les côtés les plus sombres de l’amour, possessif et obsessionnel, peuvent être fascinants et à quel point les gens les plus rationnels peuvent en s’investissant dans une relation être blessé. C’est en quelque sorte un sentiment d’auto-aliénation. C’est ce qu’on a voulu explorer sur cet album.
Cette envie de s’essayer à beaucoup de choses différentes, de ne pas se donner de limites, c’est un challenge. Est-ce que vous avez besoin de conditions spéciales pour composer ?
Kelly : Je ne crois pas qu’on ait besoin de conditions spéciales. Non, je pense que ce qui est positif dans le fait d’avoir appris à jouer dans ce groupe, c’est que quelles que soient les conditions qu’on a connu lors de la première semaine, celles-ci seront entièrement différentes au bout de la sixième semaine. Tu acquiers tellement en neuf, dix-huit mois, que tu ne te souviens plus de qui tu étais au début. On a fait nos quatre premiers morceaux avant de commencer la tournée. Ensuite, pour finir le reste de l’album, on était sur la route, donc on avait besoin de s’adapter et d’emporter notre matos d’enregistrement avec nous. Avec juste nos ordis, nos carte son, très peu de matériel, on a réalisé une grande partie de l’album dans des hôtels à Hambourg ou des toilettes au Luxembourg. Quand tu sens le moment de l’inspiration, la qualité ou les conditions parfaites n’ont pas forcément d’importance. C’est plus une excitation du moment. C’est quelque chose qui n’arrive pas forcément si tu répètes dans un studio pendant six heures.
James : Il y a beaucoup d’improvisation. Ca peut être une forme très pure d’expression, tu peux affecter les gens plus profondément, même si ce n’est pas parfaitement enregistré ou même poétiquement fait. Capturer ce moment précis d’émotion authentique s’oppose à la répétition perpétuelle des mêmes chœurs, qui fait perdre un peu de l’étincelle à chaque fois, uniquement parce que tu veux que tout soit parfait. Je pense que c’est ce qu’on veut faire, capter ces petits moments. Mais c’est vrai, parfois ça peut être très frustrant car on est peut être trop indisciplinés, on devrait être en train de travailler et en fait on fait totalement autre chose et parfois 30 minutes plus tard on doit aller enregistrer une chanson qu’on n’a pas répétée.
Victoria : C’est de la procrastination, mais créative !
Vous avez joué avec Crystal Fighters. On vous a d’ailleurs vus à La Machine du Moulin Rouge. Il y a parfois quelques similarités entre votre son et celui de Crystal Fighters, comme sur War Songs.
James : Je prends ça comme un compliment. Beaucoup de gens nous ont dit pendant la tournée qu’on se complétait avec Crystal Fighters. Nous sommes dark. Je suppose qu’il y a certains liens.
Victoria : Oui, les sonorités électroniques, les chœurs masculins et féminins.
Vous avez invité Joey Santiago, le guitariste des Pixies, sur Heartbreaker . Vous allez d’ailleurs jouer avec les Pixies. C’était un rêve d’enfant ?
James : Oui, c’était quelque chose de très spécial de pouvoir collaborer avec lui. Etre sur scène avec lui, c’est dingue, parce qu’on écoute ses morceaux depuis qu’on a douze ans. C’est l’âge qu’on avait quand on a découvert les Pixies. C’était un de mes groupes préférés.
Kelly : On a vraiment trop hâte !
Votre musique a un côté très sombre. Même sur scène, les lumières intimistes créént une atmosphère très discrète. Pourquoi tant de mystère autour de No Ceremony/// ?
Kelly : Je pense que « mystère » n’est pas le mot que j’aurais choisi.
Victoria : C’est plus un choix stylistique. Ca nous correspond, parce qu’on peut se positionner dans un certain cadre d’esprit. On n’est pas forcément devant le public. C est complémentaire au fait qu’on utilise des visuels. On aime que les gens se fassent leur propre idée.
C’est plus une question d’esthétique donc?
James : On veut faire une expérience. Ignorer les éléments visuels sur scène. On a juste la musique. On veut réaliser une personnification de la musique, faire en sorte que les gens puissent se sentir appartenir à la scène qu’ils ont devant leurs yeux et se sentir dans notre monde.