Rencontre // We Are Match : Cinq garçons très optimistes
En septembre dernier, on vous disait le plus grand bien de Shores, premier album de We Are Match. Un talent qui ne semble avoir échappé à personne, puisque dès ses débuts en 2012, le quintet normand connaît un succès qui depuis n’a fait que croître de façon exponentielle. Ainsi, un an après la création du groupe, les voilà lauréats du concours Les Inrocks Lab, avant d’entrer dans la sélection du FAIR l’année suivante, puis de gagner le prix Talents Adami DÉTOURS en janvier dernier. Nous avons rencontré les compères-complices Paco et Simon quelques jours avant leur concert parisien très attendu à la Gaîté Lyrique.
Vous êtes pour la plupart amis de longue date. Comment vous êtes-vous rassemblés autour de ce projet commun, qu’est-ce qui a déclenché le groupe?
Paco : C’est un dîner au restaurant chinois ! Effectivement, on était potes depuis très longtemps et on faisait de la musique un peu chacun de notre côté, sans l’ambition d’en faire pour de vrai. On s’est retrouvés un week-end chez moi avec Simon et Gwenael et on est allés manger un chinois. On a beaucoup rigolé, on a fait un peu n’importe quoi dans le restaurant et après on est rentrés et on a joué un peu, en enregistrant ce qu’on faisait. Après, on avait un peu laissé tomber, et puis, comme c’est moi qui avais les enregistrements, je les réécoutais tout le temps.
Simon : J’avais complètement zappé ce qu’on avait fait, et quand il m’a envoyé le son, ça m’a vraiment transcendé, je ne m’en souvenais plus. A l’époque, le morceau qu’on avait enregistré, c’était Dying Kings.
Paco : Du coup, on s’est dit « putain, mais c’est pas si mal que ça ! Allez les gars, on y va, on le fait !» et on s’est retrouvés un soir de l’année 2012. Je me souviens qu’on a trinqué. Simon partait en Russie le lendemain et devait se lever a 3h du mat’, on l’avait fait un petit peu picoler et je crois qu’il a vomi au réveil… (rires)
Vous avez grandi en Normandie. C’est comment, l’adolescence à Alençon?
Paco : Chiant !
Simon : On n’a pas tous grandi en Normandie, mais pour ceux dont c’était le cas, c’était vraiment une tannée !
Paco : Quand on était au collège-lycée, j’étais un grand fan de McCartney après les Beatles, j’écoutais les Wings et je me souviens que quand je faisais écouter ça à mes potes c’était l’incompréhension totale, ils trouvaient ça ringard !
Simon : Moi c’était pareil avec Nine Inch Nails.
Paco : Quand on est partis, on s’est rendu compte qu’on n’était pas si étranges que ça et qu’il existait d’autres gens qui s’intéressaient aux mêmes choses. La musique a toujours été un moyen de découvrir plein d’autres choses. On a grandi avec Radiohead et comme on apprenait que sa musique faisait référence à certains films, on les regardait et on découvrait des réalisateurs… C’est une espèce de cercle infini qui te permet de grandir et d’ouvrir ton esprit à d’autres choses.
On est reconnaissants à mort à la musique de nous avoir permis de découvrir tout ça.
En 2013, alors que vous venez tout juste de commencer les concerts, vous êtes élus lauréats inrocks lab en 2013, puis vous vous retrouvez dans la sélection du FAIR 2014. Comment est-ce que ça a influé sur votre façon de travailler ou de penser votre projet ?
Simon : On n’y a pas porté trop attention, c’était surtout notre entourage qui a géré ça, mais c’est vrai qu’ il y a une espèce de truc bizarre où tout le monde te regarde d’un coup, avant que tout le monde dérive un peu… et toi tu restes tout seul pendant ce temps-là. C’ est un peu étrange comme sensation on n’avait jamais connu ça avant. Mais c’était un plaisir d’être reconnu par des professionnels.
Paco : Ça nous a mis une barre d’exigence très haute. On a fait des études qui nous ont bien fait chier. Et je me souviens qu’en un ou deux ans, on a eu le sentiment d’apprendre beaucoup plus que pendant toute notre scolarité. On avait une sensation d’hyper-activité. C’est toujours très intense, on adore ça, on remercie les gens de nous avoir accueillis comme ça et de voir autant de gens acheter leur place pour venir nous voir ! On se sent tellement humbles par rapport à ça, on est juste trop contents !
Votre premier EP Relizane est sorti en 2013. Le temps ne vous a pas semblé trop long avant la sortie de Shores en septembre dernier ? Vous aviez besoin de tout ce temps pour voir les réactions du public et travailler sur votre premier album ?
Paco : Ça nous a paru très long aussi ! Je t’avoue qu’on a fait l’album très rapidement. On a eu un sacré temps d’attente pour que tous les gens avec qui on bosse soient prêts à le sortir. Malheureusement, ce sont les aléas du métier, il faut parfois être patient et attendre un peu avant de prendre la parole.
Simon : Mais on en a profité pour faire autre chose, et je pense que le temps sera moins long dès a présent.
Avec Relizane, il était question des choses qu’on laisse derrière soi et des changements immuables, le fait de passer à autre chose, cette fois c’est quoi ?
Paco : Ce qui est devant nous. On fait beaucoup de références aquatiques dans les paroles de l’album et il y avait cette notion d’abandon. On voit un rivage au loin et on se raccroche à ça, car c’est ce qui nous tire vers le haut. Ça nous donne un objectif.
Simon : Relizane, c’étaient un peu les questions qu’on se posait adolescents. Shores, ce sont les questions qu’on se pose quand on passe à l’âge adulte. On parle beaucoup d’espoir, pas pour tomber dans le misérabilisme mais plutôt pour aller de l’avant.
Paco : Je crois que ça vient de nos personnalités On est un peu cyniques mais réalistes. On essaie de voir le monde tel qu’il est. Au milieu de tout ça, on a toujours besoin de trouver un peu de magie. On est des garçons très optimistes.
Il paraît que vous vous êtes enfermés dans une maison en pleine forêt pendant plus d’un an pour mettre au point cet album. C’était où ? dans le parc du Perche? Qu’est ce que cet environnement vous a apporté ?
Simon : On a déjà été dans le Perche, mais ce n’était pas là ! Ce n’était pas en Normandie, mais dans le sud de Paris. On s’est enfermés dans la forêt pendant 1 an et demi. On a pu construire notre studio de rêve là-bas ! Il y avait de la place, on n’avait aucun voisin donc on pouvait faire du bruit. Il y avait juste des chevaux. C’est exactement ce qu’il nous fallait à cette époque-là. On en avait marre de Paris, de l’oppression de la ville… Ça nous a permis de nous libérer un peu plus.
Vous n’avez qu’un seul titre en français, L’Avenue. Pourquoi ?
Paco : Dans Shores il y a cette notion de se mettre en danger et d’essayer des choses. Cette chanson-là était spéciale car c’était une grille d’accords très jazzy, qu’on avait jamais trop exploitée auparavant. Et du coup, le français est venu et c’était presque un défi : est-ce qu’on arriverait à écrire en français ? Pour écrire en anglais, je mets souvent beaucoup de temps, car on a besoin d’en discuter ensemble pour définir ce qu’on veut dire exactement. Ce texte-là est venu en une matinée car il y avait une intuition liée au français évidente. On a hésité à le mettre sur l’album car c’est très différent de ce qu’on fait normalement. Et en même temps, à-côté d’un Speaking Machines et d’autres morceaux sombres et électroniques, cela met chacun des morceaux en valeur.
Simon : On aimait bien la fragilité qui émanait de l’instrumentation et du fait de chanter en français. Mais on ne va pas faire exprès de chanter en français par la suite. On fait comme ça vient, on ne réfléchit pas.
Paco : En ce moment, on se nourrit beaucoup de l’énergie qu’on a en live et on se rend compte que sur L’Avenue, vu que c’est du français, les gens ont envie d’écouter exactement ce qu’on raconte. Du coup, ça nous oblige à chanter bien distinctement, à nous poser. Ce n’est pas ce qu’on a envie de faire en ce moment. On a plutôt envie de balancer de l’énergie aux gens, de se lâcher et d’exulter un peu tous ensemble.
L’album oscille entre une pop groovy (Radical), chanson plus mélancolique (l’Avenue), et de l’électro (Speaking Machines). Cela représente le mélange de vos influences ?
Simon : On est cinq dans le groupe et on adore plein de genres de musique. On n’est pas cantonnés à écouter de la chanson française et du jazz. Nos goûts viennent aussi des films qu’on regarde et des BD qu’on lit. On aime bien les trucs un peu machinaux et un peu froids et aussi les trucs très calmes qui permettent de nous endormir par exemple. Le film qui me vient à l’esprit, c’est Blade Runner, pour ce côté un peu SF froid, mais on aime bien aussi les films de Wes Anderson qui sont très organiques et très généreux.
Quel est le morceau que vous affectionnez le plus et que vous préférez jouer en live ?
Simon : Ce ne sont pas les mêmes. Celui que je préfère jouer en live c’est Speaking Machines.
Paco : Celui que j’aime le plus, il est sur la b-side de la version japonaise de l’album. C’est un morceau qui s’appelle Warlocks, un peu hip hop. C’est celui que j’aurai le plus de plaisir à écouter. On essaiera de le sortir bientôt. Mais c’est vrai que jouer Speaking Machines en live est quelque chose d’assez fun.
Vous avez joué une semaine pile après les attentats avec Hyphen Hyphen à l’EMB Sannois et vous avez remercié les gens d’avoir eu le courage de venir. Dans quel état d’esprit est-ce que vous vous trouviez, c’était pas trop dur de remonter sur scène à ce moment-là ?
Simon : C’était spécial, surtout que certains ont été touchés de près par cette histoire. Simplement c’était un devoir pour nous de faire de la scène. Le public a été vachement présent. Dans ces moments-là, l’humanité est un peu grégaire, j’aime que tout le monde se rassemble, mais j’ai l’impression que ça disparaît au fur et à mesure. Il faut exulter de joie, ou de tristesse si on veut. On ne va pas se plaindre, je pense qu’il fallait le faire, c’est tout.
Paco : On avait le sentiment que c’est ce qu’auraient voulu les gens qui étaient là-bas. On a fait une minute de bruit avec Hyphen Hyphen et le public de l’EMB. On avait tous besoin de se sentir un peu utile, même si on se sentait très futile. Je me souviens que j’ai eu du mal à chanter.
Comment appréhendez-vous votre concert à la Gaîté lyrique ?
Simon : On est un peu stressés mais on va essayer de faire des nouveaux trucs, car depuis que l’album est sorti on a fait une tournée, plein de concerts, et je crois qu’on a toujours besoin de se sentir un peu en danger.C’est ça qui nous permet de créer à la fin aussi. Même si c’est une date importante et qu’on n’a pas trop le droit de se rater. On est très pressés !
Paco : On a déjà eu l’occasion de beaucoup jouer sur scène. On commence vraiment à avoir les chansons de l’album dans les mains par rapport à quand on l’a composé, et on joue beaucoup de morceaux qu’on ne faisait pas normalement en live. On a l’impression de faire une grosse teuf autour de cet album, on l’utilise, on le maltraite pour donner encore plus au public. On a découvert que beaucoup de gens aimaient cet album et on va être contents de montrer ses petits secrets de fabrication, ça va être une grosse fête, on prévoit quelques surprises, on va faire n’importe quoi !