The Lumineers : « On ne voulait pas être le groupe qui a fait Ho Hey »
Quatre ans après l’immense succès de leur premier album éponyme, The Lumineers sont de retour avec Cleopatra, publié le 8 avril dernier. Nous avons rencontré Jeremiah Fraites (batterie) et Neyla Pekarek (violoncelle et chant) pour une interview lors de leur visite à Paris en février dernier, alors même que leur jolie ballade Ophelia commençait tout juste à déferler sur les ondes.
Vous avez dit qu’ « Ophelia est une vague référence aux gens qui tombent amoureux de la célébrité ». Est-ce que c’est quelque chose dont vous avez peur en raison de ce succès ?
Neyla Pekarek : Je pense juste que ta vie change drastiquement. C’est en partie ce qu’on a traversé en tant que groupe. Rien que le fait de passer de la vingtaine à la trentaine à ce moment-là était un grand changement dans nos vies.
Si on avait été plus jeunes, cela aurait été encore pire, car on aurait été vraiment facilement manipulés par les gens autour de nous et façonnés par ceux qui nous entourent.
Je pense que c’est facile d’être rattrapé par le succès, et il faut faire en sorte de pouvoir s’appuyer sur beaucoup d’autres choses dans ta vie en dehors de ça.
Et comment avez-vous fait pour gérer ce succès ?
Jeremiah Fraites : Je pense que l’idée de célébrité ou de se sentir célèbre, on l’a tous ressentie lors des Grammys. On a marché littéralement sur le tapis rouge, on était entourés par Jay Z, Jack White, Sting et Rihanna, c’était juste fou ! Je pense que j’ai réalisé à ce moment là que je me sentais vraiment bien, tout en haut. Mais j’ai aussi réalisé que si je me sentais tout en haut, ça voulait dire que j’allais redescendre. C’est quelque chose qui te submerge, c’est très dur et j’imagine que certaines personnes se noient là-dedans. Ça te rend heureux de façon temporaire, mais… je me suis forcé à garder conscience de ça. Et je voyais que Wes et Neyla gardaient les pieds sur terre et restaient fidèles à eux-mêmes et ne changeaient pas à cause de ce succès.
Ophelia était le premier morceau que vous avez enregistré et écrit…
Jeremiah: Oui, c’est la première chanson qu’on a écrite pour ce nouvel album. Au début, c’était juste une sorte de démo au son pourri sur mp3. Après avoir terminé ce morceau, on avait fait le premier pas et c’était facile de finir l’album. On se disait qu’Ophelia était une sorte de pop song bien écrite et que c’était une façon sympa de faire un petit coucou à nos fans après quatre ans de silence. On se disait aussi qu’après, ce serait plus facile, plus relax et plus fun de continuer l’album sans se soucier d’avoir un single ou quelque chose comme ça.
Donc vous avez construit tout l’album autour de ce morceau ?
Jeremiah: Oui, en quelque sorte, c’est la pierre angulaire de l’album. Une fois qu’elle a été terminée, cela nous a permis d’écrire des chansons telles que My eyes ou Long Way From Home, avec Wes à la guitare évoquant son père affrontant le cancer. Ce genre de chansons a une place quand les autres morceaux sont déjà faits.
Sur Cleopatra, vous racontez l’histoire d’une femme prénommé Manana, quelle est son histoire, où l’avez-vous rencontrée ?
Jeremiah: Wes a rencontré Manana en Géorgie. C’est une conductrice de taxi qui a vécu une vie très difficile, et elle a raconté à Wes que les deux meilleurs jours de sa vie avaient été le jour de son divorce et celui de la naissance de son fils.
Neyla : Elle a été demandée en mariage par l’amour de sa vie le jour où son père est mort et elle n’a rien répondu. Il a quitté la pièce en laissant de la boue sur le sol en partant, et elle ne l’a plus jamais revu. Du coup elle a gardé ses empreintes de pieds sur le tapis et c’est ce que racontent quelques paroles de cette chanson. C’est une histoire étonnante, parfois la vérité est plus étrange que la fiction ! C’est fou comme tu peux être ému par l’histoire de quelqu’un d’autre. Parfois je pense que c’est plus simple d’écrire sur la vie des autres que sur la sienne.
Il y a trois femmes sur votre album. Est-ce que ça représente trois différents états d’esprit?
Jeremiah: En général, les prénoms qu’on choisit sont plutôt des allégories ou des métaphores pour des situations. Et puis, par exemple, tu ne peux pas chanter Je-Je-Jessica ! (rires) Souvent, c’est juste que certains noms sonnent mieux et plus musicaux que d’autres.
Angela a été écrite en studio. Wes avait une idée rapide du refrain, il est très doué pour créer des personnages à qui tu as envie de faire un câlin, il ne dit pas juste « il », « elle », « ils », ou « je t’aime », mais il reste très spécifique et je pense que donner des noms comme Cleopatra ou Angela cela rend les personnages plus réels. Ça permet à la chanson de sauter de la page, en trois dimensions
Neyla: Ça permet aux gens de s’identifier à ces personnages.
Et comment le lieu où vous avez enregistré a-t-il influencé votre album?
Jeremiah: C’est assez fou, on était supposés enregistrer l’album à Denver dans le Colorado, et la dernière semaine avant, quelque chose est arrivé avec le studio et on a dû bouger jusqu’à l’Etat de New York et revenir ensuite. C’est à coté de Woodstock, près de la maison de Bob Dylan. L’endroit était isolé et faisait un peu hanté. On a en fait fini par rencontrer notre bassiste sur place. Je pense que c’était notre destinée d’atterrir là-bas, car on avait vraiment essayé d’enregistrer dans le Colorado afin de pouvoir rester à la maison avec nos familles et nos amis. Mais finalement, le fait d’être dans une grande ville n’aurait pas forcément été aussi bon pour notre processus d’enregistrement.
Votre premier album était plutôt sautillant. Cette fois, j’ai trouvé Cleopatra plus mélancolique…
Neyla: Il est différent à plusieurs niveaux. Il y a davantage de sons graves que sur le premier…
Jeremiah: On est restés volontairement loin de la mandoline et du banjo. On ne voulait pas être connus comme « le groupe qui a fait Ho Hey » et revenir avec le même album. Je pense que ça aurait été ennuyant. L’art a besoin d’être égoïste parfois. On a besoin de tourner pendant un an et demi ou deux ans, ou peu importe combien de temps ça prendra, et je pense qu’il faut faire un album pour soi-même et en être fier. Ça aurait été ennuyant pour tout le monde si on était revenus deux ans après avec une ambiance à la Ho Hey.
Neyla: Oui, c’est naturel pour un groupe de progresser un peu entre deux albums, j’espère !
Si vous avez laissé tomber la mandoline, en revanche, toi, Jeremiah, tu utilises des percussions tribales…
Jeremiah: Oui, c’est intéressant car le second album présente un set de batterie un peu plus lourd, mais on a essayé de maintenir des battements qui permettent de ne pas avoir des chansons trop propres, j’imagine que c’est pour rester fidèle à nos racines.
Pouvez-vous m’en dire plus sur la tournée qui va suivre la sortie de Cleopatra ?
Jeremiah: Oui, je sais qu’on sera de retour le 27 avril.
Neyla: Il me semble qu’on va jouer deux fois dans l’année (à la salle Pleyel le 8 novembre 2016, ndlr)
Jeremiah: On pensait que les Parisiens seraient difficiles à contenter musicalement, mais je crois qu’en fait ils nous aiment vraiment ! (rires)
Et que donne votre agenda niveau festivals ?
Jeremiah: Je pense qu’on va faire seulement des festivals européens.
Neyla: Je crois qu’en 2013 on a joué dans 50 festivals ! Je pense qu’on en fera davantage l’année prochaine. Cette année, on va plutôt faire des concerts en tête d’affiche, et on reviendra pour des festivals l’été suivant !
La Playlist de The Lumineers
Sylvan Esso – Wolf
Shovels and Rope – After The Storm
Thao with The Get Down Stay Down – When We Swam
Michael Kiwanuka – No More Running
Death Cab For Cutie – Cath…
Propos recueillis par Aurélie Tournois // Photographe: Jacques de Rougé