Goran Bregovic // Le Zénith de Paris // 24 janvier 2013

 Goran Bregovic // Le Zénith de Paris // 24 janvier 2013

Le soir des gitans

 
Goran Bregovic était de passage jeudi soir au Zénith. Le roi du turbo folk Made In Balkans avait invité sur scène les stars de la grande famille des cousins tziganes. On s’est mangé un niglo grillé avant d’aller danser comme aux mariages et aux enterrements.
J’ai ma petite méthode personnelle pour évaluer la qualité d’un concert.  Des critères qui me permettent de ranger les groupes dans mon panthéon privé des grandes messes musicales. Ils sont au nombre de quatre et ont déjà couronné Jack White, Ben Harper ou Manu Chao. Premier élément, si je profite des moments où le chanteur parle pour tenter de finir ma nuit avec ma voisine, c’est que le mec sur scène ferait mieux de jouer, plutôt que de raconter des banalités. Secundo, si je passe mon temps à regarder ma montre pour estimer le temps restant de concert, c’est que les cordes vocales du préposé au micro sont mal accordées.  Si je quitte la fosse pour aller descendre quelques godets à la buvette, c’est que le chanteur n’est pas un ambianceur, et que quitte à avoir l’impression d’écouter un album, autant l’accompagner de houblon. Enfin, si mon tee-shirt est réduit à l’état d’éponge, c’est banco. Le classement final se mesurant à la surface de tee-shirt trempée. Autant le dire tout de suite, avec Goran Bregovic sur scène, j’ai dragué personne, j’avais pas de montre, j’ai pas bu une goutte de bière, et seules les manches de mon tee-shirt étaient vierges.
Allumer le Gas Gas

Le concert commence par une première partie assurée en solo à la guitare sèche par Nazim. De la variété avec des textes de hip-hop et surtout une reprise de Superstition de Steevie Wonder. Mais un style trop éloigné de la suite du programme pour enflammer le public.
Et puis Goran. Pour ceux qui ne connaissent pas Mister Bregovic, il suffit d’avoir vu un film d’Émir Kusturica et vous avez entendu les fanfares de Bregovic. Et quand Kusturica est de sortie chez Les Guignols, il est accompagné d’une fanfare bordélique, et de quelques poules, il est là aussi Goran. Le bordel c’est aussi faire entrer la section cuivre par les gradins, histoire de faire tourner la tête à tout le public du Zenith et de nous prendre par surprise en se pointant sur scène en criant Gas Gas. Soit l’un des plus gros tubes de son répertoire. Un hymne au bougeage de pieds. Dix secondes de concert, et premier pogo (d’où le tee-shirt trempé). Je n’oserais même pas parler d’entrée en fanfare. Aller. Si. J’ose. Une entrée en fanfare donc, avec à sa tête le fameux Orchestre pour les mariages et les enterrements, soit une section cuivre de cinq musiciens et un percussionniste. Accompagné de deux choristes en costume traditionnel, quatre gratteurs de violons et six ténors costardisés.
La Gipsy Family

Après deux trois classiques envoyés avec les cuivres bien forts et les paroles criées, Bregovic commence à appeler ses potes. Car ce concert du Zénith, c’est un peu le mondial de la caravane, des gitans des quatre coins du globe débarquent pour taper la chansonnette. Première sur la liste, une Irlandaise dont le nom sera tu, pour ne pas que ses fautes de chant ne se généralisent. Le public masculin, moi y compris, aura tout de même retenu ses courbes… gitanes. Se pointe ensuite Stéphane Eicher, Suisse, tzigane et auteur de « Déjeuner en paix » qu’il reprend au son de la fanfare. Le public chante, tout comme sur « Be that man », extrait du dernier album de Bregovic, « Champagne for Gypsies ». Quand Eicher sort de scène, il croise les dieux des manouches. Meilleur qu’un pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les Gipsy King, les mains remplies de guitares arrivent sur scène et balancent d’entrée « Maria ». Puis envoient « Balkaneros » de Bregovic avant de passer à « Bamboleo ». Le Zénith crie, chante, danse. Et va remettre une couche de pogo avec le débarquement d’Eugène Hütz, Sergey Ryabtsev et Yuri Lemeshev de Gogol Bordello. Eugène arrive la bouteille de vinasse à la main, l’estomac sans doute rempli de la même boisson, et le nez… enfin le nez rempli quoi. Il tente de galocher les choristes avant de balancer « Pala tute » son titre phare.  La présence de scène est telle que Bregovic laisse Hütz mener la bataille, avant de revenir à la charge avec « Presidente » que le public fait résonner dans les entrailles du Zenith.

Arme de distraction massive

 

La revue de famille remerciée, Goran se retrouve seul sur scène avec son orchestre et décide de nous faire la guerre. En même temps c’est le public qui a demandé un rappel. Dans les poumons, la nicotine demande pardon, mais il faut y retourner, Goran ne va pas nous quitter sans nous (re)voir pogoter. Trois sons, pour trois guerres. « Jeremiah » chanson à boire des soldats serbes de la Première Guerre mondiale débute, Bregovic se vide un verre de whisky. « Bella ciao » des résistants Italiens lors de la Seconde Guerre mondiale y passe aussi, second verre. Et c’est tout haletant qu’un cri parcourt notre corps «Cigani !! Juuuuriiiiiiiis !!! », « chargez » en serbe. Soit l’intro de « Kalasnjikov » plus grand tube du Mister, une charge contre les trafiquants d’armes qui pullulent en ex-Yougoslavie. C’est le moment de lâcher ses dernières réserves d’énergie. La salle bondit, pogote, chante. Je suis fatigué, assoiffé, trempé, enchanté. Goran Bregovic est lui rangé. Dans mon panthéon perso. Dans le tiroir tee-shirt trempé de bonheur. 

 


Texte: Yann Butillon

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