Rencontre // Concrete Knives // « Il y a quelque chose d’hyper beau dans la maladresse »

 Rencontre // Concrete Knives // « Il y a quelque chose d’hyper beau dans la maladresse »
Nous avons rencontré les Normands de Concrete Knives à Paris au mois d’avril, quelques jours avant leur passage au Trianon. On est revenu sur leur tout premier album Be Your Own King, avant de discuter authenticité et années 80.
 

 

 
Pour commencer, j’aimerais revenir sur votre album Be Your Own King, qui est sorti il y a quelques mois. Vous avez signé chez Bella Union (Beach House, Fleet Foxes), qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
 
Nicolas Delahaye (guitare, chant) : C’est un label réputé. Ça a changé le regard des gens sur notre musique et nous a permis de jouer à l’étranger.  Mais voilà, ça ne change pas grand-chose, on ne vit pas à Londres, on ne se voit que de temps en temps. Mais on a signé trois disques avec eux et je suis hyper content.
 
Et dans la façon d’enregistrer ?
 
Nicolas : Ils nous ont laissé la liberté de faire ce qu’on voulait. Mais là où on a foiré, c’est qu’on aurait du faire comme Young Marble Giants : enregistrer des démos et leur envoyer. Pas par dédain ni par négligence, mais il faut qu’il se passe quelque chose, et parfois c’est sur des démos qu’il se passe des choses.
Morgane : Ça nous a mis la barre un peu haute, on a voulu trop bien faire et peut-être qu’on s’est perdus dans cette démarche, alors que je pense que Bella Union nous aime comme on est. Je pense qu’on aurait pu envoyer des choses plus brutes et moins produites, ça n’aurait pas posé problème.
 
Au niveau de l’album, l’image de couverture est assez intrigante, qu’est-ce que vous avez voulu signifier, comment vous l’interprétez ?
 
Morgane : Je ne sais pas s’il faut l’interpréter. Il faut la regarder : c’est une personne de dos qui regarde un paysage urbain du point de vue d’une friche. Il regarde un espace construit et en même temps qui se situe sur un espace où tout est à construire. J’aime bien cet écart entre la position du personnage et ce qu’il regarde. Entre les deux il y a tout à faire.
 
Comment vous le reliez à votre musique ?
 
Nicolas : Déjà dans la démarche : c’est un premier disque, donc forcément c’est un truc « en process ». Il y a tellement de disques qui sortent avec une certaine sorte de finalité : tu as écouté le premier disque et tu sais déjà tout du groupe. C’est tellement frustrant. Tu vois très vite qu’au bout du deuxième album tout est déjà terminé. Nous, on a pris quatre ans pour composer cet album. On prend de la distance, de la hauteur et on n’oublie jamais qu’en face de nous, il y a quelque chose à construire. Cet artwork, ce n’est pas nous qui l’avons fait, ça a été inspiré. Je voulais ces éléments picturaux. La mise en scène est inspirée d’un grand tableau de l’époque romantique. Ça nous ressemble vachement en fait.
 
Votre musique a des accents un peu sauvages, ça part un peu dans tous les sens tout en restant très propre et très maîtrisé. Comment vous arrivez à gérer cette ambivalence ?
 
Nicolas : Cette ambivalence est faite par la nature des individus qui composent le groupe. Même artistiquement, c’est un état d’esprit dans lequel on se retrouve. Le côté sauvage, spontané, désinhibé. Un peu punk, en fait. Ça va du mid-tempo à des choses plus garage, des couleurs africaines, une chorale. L’album est assez réaliste de ce qui se passe autour de nous actuellement. Il suffit juste de regarder autour de soi pour s’apercevoir qu’il y a tout ça autour de nous, ces odeurs, ces couleurs, les gens et les sons que tu rencontres. Je pense que ce n’est pas une perte artistique de s’éparpiller, on est tous à travers nos pratiques dans quelque chose de pluridisciplinaire. Ces vies plurielles s’inscrivent au plus profond de l’individu de 2013. Je trouve qu’il est artistiquement assez cohérent avec notre époque.
 
Morgane : Je trouve qu’on ne fait pas tant de mélange que ça. Chaque couleur de chaque morceau fait sens et sert de fil conducteur. Chaque morceau a sa propre identité et correspond à une histoire singulière, une expérience qui nous est propre.
 
« Pourquoi les gens aiment tellement Pete Doherty ? Soit le mec va jouer deux heures et demie soit  au bout de deux minutes, il va dire « ça ne va pas du tout, faut que je rentre chez moi ». Tu sais qu’il va se passer quelque chose ».
 
Vous parliez de l’individu de 2013, vous êtes bien ancrés dans votre époque. Roller Boogie sonne plutôt eighties, Berlin-Est apparaît en Super 8 sur le clip d’Happy Mondays, est-ce que c’est une période qui vous inspire particulièrement ou que vous auriez aimé connaître ?
 
Nicolas : Nous, on a connu les années 80 étant très petits. Pourquoi des mecs nés dans les années 80 ressortent leurs synthétiseurs et refont de la synth-pop ou des déclinaisons de trucs déjà entendus cinquante fois ? Je pense que ce n’est pas un hasard : musicalement, c’est une sorte de recyclage à travers les époques. Le reste de l’album est davantage proche des années 2000, peut-être même trop.
 
Trop proche dans quel sens ?
 
Nicolas : Dans les influences et les sonorités. Je n’aime pas du tout les productions actuelles : je trouve que c est un travail de fainéant et trop facilement bernable (sic). Ce que j’aimais dans les années 2000, c’était ce retour à quelque chose de très brut, au rock avec des choses très antifolk, bluesy. Ça me parlait vachement, car tu ne pouvais pas tricher. C’était simple.
 
Morgane : On n’aime pas tricher. Certains groupes n’appellent pas ça tricher, mais nous on le vivrait comme ça.
 
C’est-à-dire : tu penses à des sons pas assez bruts, trop produits?
 
Morgane : Des sons qui ne viennent pas de sources naturelles, trop artificiels. Il y a des musiciens qui travaillent cette matière sonore et que ça fait kiffer. Mais nous, ce qui nous fait vraiment vibrer, c’est la nature et le sens des instruments, de la musique et du son. Jouer. Quand je vais voir un concert et que j’entends des sons pas joués ça me perturbe énormément, c’est triste.
 
Nicolas : Ça fait pitié, pourquoi tu fais ça mec ?! Il y a beaucoup de groupes qui ne savent plus se mettre en danger. Combien de fois vous êtes allés voir des concerts où vous aviez l’impression d’écouter un disque ? Combien de fois on est passé derrière des scènes ou il y avait 5 Macbooks avec des bandes qui passaient ? Combien de groupes ont un disque qui défonce mais qui, quand tu as les voir en live, ne savent même pas jouer ensemble ? C’est un scandale, de la fainéantise.
 
Morgane : Nous on s’en fout, on préfère être maladroits.
 
Nicolas : Il y a quelque chose d’hyper beau dans la maladresse, c’est un moment unique.
 
Morgane : Oui, c’est ça, on aime bien la singularité. Moi, faire une tournée de vingt concerts et jouer tous les soirs la même chose,  je me tire une balle. Même en live, on n’a quasiment pas de sample, de bandes sons ou d’enregistrements.  Et pourtant, c’est parfois difficile de trouver du charme, de la magie, d’être surpris. Dans Concrete Knives, les musiciens jouent bien ensemble car ils jouent depuis très longtemps ensemble. Du coup, c’est parfois un peu l’autoroute. Si en plus ce n’était que du son numérique, une sorte de playback, je me ferais vraiment chier.
 
Nicolas : Attention, on n’a rien contre la musique électronique, c est juste dans la démarche.
 
Morgane : La plupart de ces groupes veulent sonner gros, il faut que ce soit énorme, en mettre plein la vue à tout le monde. Alors que lorsque tu vas voir une artiste comme Feist, toute seule sur scène avec sa guitare, t’en prends plein la gueule. Pas besoin de mettre des bandes son derrière.
 
Ça laisse plus de place à l’imprévu…
 
Nicolas : Mais ouais, pourquoi les gens aiment tellement Pete Doherty ou Daniel Johnston. Le mec arrive sur scène et ne sait pas ce qu’il va faire. Soit il va jouer deux heures et demie soit  au bout de deux minutes, il va dire « ça ne va pas du tout, faut que je rentre chez moi ». Tu sais qu’il va se passer quelque chose.
 
Vous allez jouer au Printemps de Bourges, comme Granville, Superpoze et Goldwave. Vous vous sentez proche de cette scène normande ?
 
Morgane : Non !! non non ! Proches en tant que copains, oui mais ce sont des projets extrêmement différents. On n’est pas dans la même démarche.
 
Nicolas : On partage notre local avec Goldwave, donc on se connaît. Granville, on était au lycée avec eux.
 
Vous vous sentez peut-être plus proche d’une scène rock anglophone ?
 
Nicolas : Culturellement on reste Français. Même si on voyage en Angleterre, on nous donne ce qu’on a à nous donner et on l’accepte.  Une chose est sûre c’est que beaucoup de groupes français ne feraient pas ça même s’ils en avaient la possibilité. Donc oui, sur l’état d’esprit, dans la façon d’aborder la musique et la scène. Mais en France, c’est très bizarre, tu as une scène alternative très indé, très squat, do-it-yourself, alors qu’au final…  C’est pas ta musique elle ressemble à ça ou à ça, mais il y a des gens qu’on aime bien fréquenter. Quand on discute avec les La Femme on rigole beaucoup, car on trouve qu’ils ont une manière de fonctionner très atypique.
 
Vous allez jouer bientôt jouer au Trianon, avec Corentin (guitariste de The Dancers) qui vous a rejoint récemment. Comment appréhendez-vous cette date?
 
Nicolas : Ici, c’est Alain ! On l’a rencontré il y a quatre ans à la Bellevilloise et il avait les cheveux longs et bouclés, il ressemblait à Alain Souchon (rires). Je suis super content de jouer à Paris et de retrouver les Parisiens qui viennent nous voir. Que le lieu soit beau ou pas beau je m’en fous, c’est plus l’instant qu’on va passer avec les gens. Parfois, tu joues dans des lieux tout pourris et il se passe quelque chose et d’autres fois, tu joues dans des lieux super beaux et il ne se passe rien. Quand tu arrives à concilier les deux c’est top, mais je ne m’attache pas vraiment au lieu. Peut-être à la symbolique, pour les salles mythiques, parce que tu sais qu’untel y a joué et tu as une forme de reconnaissance. Mais après, un Zénith ça ne me fait pas rêver…  Il y a tellement de Zéniths partout en France, c’est comme si tu jouais à la salle des fêtes de Paris, ça n’a aucun sens. C’est froid, c’est une coquille vide. On a joué à Cardiff devant cinquante personnes c’était trop bien, on était au pied de la scène car il n’y avait pas assez de place sur la scène, on avait la tête dans les amplis c’était énorme.
 
Morgane : Tu sais que tu ne feras pas dans la dentelle, mais tu passes un bon moment.
 
 

 

 
La Playlist de Concrete Knives
 
Anika – In The City
 
 
Propos recueillis par Aurélie Tournois // Photos: Jacques de Rougé
 
 

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