Rock en Seine: entre nostalgie, frissons, post punk et disco love
Le week-end dernier, la 15e édition de Rock en Seine au Domaine de Saint-Cloud mettait en évidence le déclin d’une brit pop qui l’a vu naître, et confirmait l’importance grandissante d’une nouvelle ère musicale.
Radiohead, Morrissey, Kasabian, Editors, Muse, Arctic Monkeys, Kaiser Chiefs… Autant de noms qui ont marqué à la fois l’histoire du rock anglais et celle de Rock en Seine. Depuis les premières éditions du festival, on a assisté à une lente évolution de la programmation qui plutôt que de se fondre dans la masse a cherché à se définir par un éclectisme pertinent et l’envie d’être à chaque édition en avance sur son temps.
Cette année, il fallait (entre autres) rivaliser avec l’encombrant Lollapalooza Paris, qui pour sa première édition a joué à fond la carte des grosses têtes d’affiche internationales (The Weeknd, Imagine Dragons, Red Hot Chili Peppers, Lana Del Rey…). Pas de panique dans l’équipe de Rock en Seine, qui a justement pris le risque de ne pas afficher de « gros noms », mais plutôt quelques valeurs sûres avec leur lot de fans inconditionnels (PJ Harvey, Franz Ferdinand, Cypress Hill, Band of Horses, The Jesus and Mary Chain), des hitmakers dans l’air du temps (MØ, Fakear, Flume) et une scène alternative et hip hop pour connaisseurs qui tenait carrément la route. Un line up qui marquait clairement un changement d’époque : les groupes pop/rock/indie british ont terminé de s’accaparer la scène. On en viendrait presque à se demander si la séparation d’Oasis en backstage en 2009 n’était pas prémonitoire.
Place désormais à un vivier français de plus en plus prolifique et fusion, à l’image de la talentueuse Jain, qui s’est comme à chacun de ses sets offert un bain de foule du haut de sa petite bulle, du set de Fakear, qui a transformé la pelouse en dancefloor hypnotique, mais aussi du cloud rap des Rennais de Columbine ainsi que de la machine pop pour ados rebelles Therapie Taxi. Symptôme de cette ouverture à des styles musicaux de plus en plus nombreux, les scènes se sont multipliées, et il n’est pas rare de croiser des festivaliers hagards, un plan à la main et à la recherche désespérée de cette putain de scène du Bosquet.
Gros point fort cette année : la place laissée au post punk, avec les excellents sets des allumés pleins de tocs de Sleaford Mods, ainsi que de Frustration et Rendez-Vous qui, à renfort de riffs aussi sombres qu’intenses, ont su transformer la fosse en ring à pogos (on en a gardé quelques bleus qu’on ne regrette pas une seconde). Une noirceur puissante qu’on retrouvait également devant les concerts de Timber Timbre, et à l’écoute du shoegaze magnifiquement planant de Slowdive. De quoi calmer les mauvaises langues qui affirmeraient que le festival n’a de rock que le nom.
Jolie surprise également, dans un autre registre, devant Hercules & Love Affair. Les New -Yorkais belges d’adoption ont diffusé une disco-house bien barrée, nous invitant à « mettre des paillettes dans nos cocopops le matin » avant de nous avouer qu’ils nous aiment « plus que le chocolat« . Nous aussi, on les aime d’amour, surtout après s’être laissés éblouir sur Blind.
C’est à Franz Ferdinand qu’est revenue dès le premier soir la lourde tâche de combler nos attentes nostalgiques en matière de pop-rock british sautillant. Délivrant comme toujours un set impeccable, la machine à tubes de Glasgow nous a une fois de plus fait trembler avec un enchaînement magique de Jacqueline, The Dark Of The Matinee, Ulysses, Michael et un final grandiose sur l’immense Take Me Out. On retiendra également les quatre morceaux inédits, qu’on attend avec impatience de réécouter sur leur prochain disque. On voit tout de même que le temps a passé : Alex Kapranos, qui semble avoir perdu l’adorable jeu de scène qui lui faisait frapper inlassablement du pied, est désormais passé au cheveux « blanc platine », avec option sourcils assortis. Encore une page qui se tourne, un peu comme cette apparition soudaine de stands d’açai bowls et de street food vegan qui pullulaient cette année sur le site, remplaçant dans les assiettes grosses plâtrées de saucisse-aligot et kebabs-frites dégoulinants de mayo.
Le rock à l’anglaise, il semblerait que ce soit les tout jeunes membres de The Lemon Twigs, du haut de leur même-pas-vingtaine, qui en aient pris la relève. Dimanche, la formation de Long Island a foutu une sacrée claque aux festivaliers, avec son son old school complètement addictif. Ce sont peut-être eux qui sait, qui dans 10 ans, après avoir « fait Rock en Seine » à leurs débuts, et devenus à leur tour des références du monde du rock, monteront sur scène en terrain conquis ? Un peu comme PJ Harvey, déjà présente pour la première édition du festival parisien, et venue boucler la boucle avec un concert hyper attendu et comme d’habitude hyper applaudi.
A chaque édition sa forte tête. On parlait tout à l’heure de la séparation d’Oasis. Rock en Seine avait connu également la panique avec l’annulation à la dernière minute de son concert par la sulfureuse Amy Winehouse, ou les frasques de Peter Doherty, qui après avoir raté son avion à Londres en 2005 faisait patienter son public une heure durant avant de se pointer sur scène. Cette fois, on a dévoré, l’œil rieur, les excentricités scéniques du tout de même plus sympathique Mac DeMarco, qui au fur et à mesure de son set, bouteille à la main, a roulé une pelle à son musicien, repris A Thousand Miles de Vanessa Carlton en répétant la première phrase (« Making my way downtown ») inlassablement pendant de longues et hilarantes minutes, porté un fan sur ses épaules le temps d’une chanson, ou installé une table sur sa scène afin d’y inviter ses potes à prendre l’apéro. Un concert qui n’a fait que le rendre encore plus sympathique aux yeux d’un public arrivé déjà conquis par la qualité de ses morceaux.
La pépite de délicatesse : le live de Girls In Hawaii, qu’on a retrouvé avec un immense plaisir ce week-end. Entre un Misses fort en émotion, un poignant Not Dead, et un désormais classique Rorschach, on a eu la chance de découvrir quelques nouveaux morceaux extrêmement prometteurs des Belges, dont l’album tant attendu sortira le 29 septembre (on vous en reparlera). Mais ce qui nous aura le plus ému, au final, c’est le concert de Lee Fields & The Expressions. Avec son charisme de malade, le bonhomme nous a délivré une soul puissante à foutre la chair de poule au premier éclat de voix. Accompagné de ses génies de musiciens, celui qu’on compare aisément à James Brown ne fait pas que transmettre sa musique, il semble la vivre à chaque fois comme si c’était la première, se laissant envahir par ses propres émotions, et nous filant des putains de frissons. MAGIQUE.
Dimanche soir, alors que tout le festival semble se diriger comme une marée humaine vers la grande scène pour voir sur scène les ténébreux The XX, on ressent nous aussi une pointe de curiosité, qui vient se confronter avec notre envie d’aller voir un peu plus loin du côté du show spécial de The Shoes pour les Inrocks, revenant sur plus de 30 ans de musique. Bien nous en a pris : devant la scène Industrie, on participe à cette espèce de blind test géant. De Lana del Rey en passant par les plus anciens sons de Björk, Jungle ou les Beastie Boys, tout y passe, pour notre plus grand plaisir. Il est quand même presque 23h quand les lumières s’éteignent et qu’on se retrouve comme des cons, ambiancés pour danser toute la nuit, alors que la fermeture du festival est imminente. Du coup, on se décide à faire quelques pas pour rejoindre la scène du Bosquet (celle derrière la grande cascade, vous avez suivi ?) où Panda Dub a transformé la fosse en dancefloor géant. Difficile de résister à cette tornade de joie collective, qui nous entraîne à sauter partout en lançant bras et jambes de manière incontrôlée.
NOTRE TOP 5
(selon une moyenne des avis de l’équipe)
- Mac Demarco
- Franz Ferdinand
- Lee Fields
- Frustration
- Slowdive
Rédactrice: Aurélie Tournois // Photographe: Jacques de Rougé