Theo Lawrence and the Hearts: « On cherche la porte d’entrée du kiff »
Quatre ans après l’avoir découvert lors d’un concert privé champêtre, nous avons rencontré Theo Lawrence pour une interview. Alors qu’il vient de publier une version deluxe de son premier album Homemade Lemonade avec son groupe The Hearts, le jeune Franco-Canadien au style rock-soul-blues, à la fois rétro et moderne, nous a parlé de son rapport à la scène, au succès et à la musique, toujours la musique.
Toi et ton groupe, vous considérez-vous un peu comme des passeurs de ce que sont les racines de la musique américaine, du rock, de la country ?
Théo Lawrence: Non, je ne nous considère pas comme des passeurs. Je me rends bien compte qu’on n’est pas dans la tendance. L’émotion qu’on essaye de produire chez les gens n’est peut-être pas la même… On n’a pas la mission de jouer de la « bonne musique », parce que je ne considère pas qu’il y ait une musique meilleure qu’une autre. En tout cas, je ne peux pas dire qu’on est entourés par une communauté de gens qui ont les mêmes aspirations ou les mêmes occupations que nous. Les gens qui aiment la musique que j’écoute, la soul, la country, le gospel, je ne les rencontre pas au coin de la rue. Les gens qui savent la jouer, je n’en rencontre pas non plus au coin de la rue. C’est pour ça qu’il faut qu’on apprenne tout seuls. Il y a des gens aux Etats-Unis qui savent comment faire des disques comme on les aime. Nous, on est entourés par des gens qui font autre chose. Il n’y a qu’avec Thibault, le guitariste de mon groupe, que je partage ce truc d’écrire des chansons. C’est assez solitaire comme truc. Alors que dans d’autres styles, il y a plus ce truc de communauté, de gens qui vont collaborer.
Comment en es-tu arrivé à faire cette musique-là ?
Théo Lawrence: Je ne sais pas. On a tellement de musique à disposition qu’on a vraiment le choix de se faire nos propres goûts. Je sais qu’il y a une sensation que je retrouve dans certains trucs, que je retrouve peu dans des styles contemporains. Je vais plutôt vers des morceaux qui sont vieux parce que je me retrouve là-dedans. Tu as tellement de musique à disposition que tu peux écouter des trucs de n’importe quel pays et de n’importe quelle époque. Tu peux écouter du gospel ghanéen, si tu veux!
Est-ce que l’influence du passé est nécessaire pour trouver l’inspiration ?
Théo Lawrence: Au début, on essayait de synthétiser plusieurs influences comme la soul, la country, le gospel et le rock’n’roll, en essayant d’être original. Mais en faisant ça, j’ai l’impression que tu fais quelque chose de moins personnel, bizarrement. Ça peut être un peu fatigant à écouter aussi parfois. A vouloir tout mélanger, on ne comprend plus ce qui se passe. Quand j’écoute Chuck Berry, par exemple, je comprends très bien ce qu’il se passe. Il propose un truc. Il y a juste des gimmicks qui reviennent dans chacune de ses chansons. C’est pareil pour Bo Diddley, pour Etta James, pour tous les artistes que j’écoute. Le but, pour la suite, c’est d’aller à l’essentiel, de faire des morceaux plus simples.
Parlons de ta notoriété grandissante. Ça fait quoi de te voir en 4X3 dans le métro ?
Théo Lawrence: Ça fait bizarre parce que je prends beaucoup le métro. J’ai l’impression que je passe plus de temps dans le métro que chez moi et je regarde évidemment toutes les affiches tout le temps. Donc quand j’ai vu l’affiche du groupe la première fois ça m’a fait bizarre. Ce n’est pas normal. C’est comme les concerts, c’est un peu bizarre.
Pourquoi c’est bizarre, les concerts ?
Théo Lawrence: C’est bizarre parce que j’essaye toujours de ne pas me faire remarquer dans la vie en général. Je ne veux pas faire d’histoires. Monter sur scène avec une guitare et tout montrer comme ça, ce n’est pas très pudique. Ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi. Il me faut toujours un petit temps pour démystifier le truc.
On ne veut pas faire de la musique de fête à la saucisse
Les visuels du groupe sont très travaillés. Est-ce que l’esthétique a une importance particulière pour vous ?
Théo Lawrence: J’ai envie de dire oui, mais en même temps, il y a quelque chose qui me déprime un petit peu chez les artistes qui te donnent l’impression qu’ils te vendent quelque chose, que tout est conceptualisé. Notre but est vraiment de faire de la musique. L’image, c’est important, parce que c’est ce que les gens voient en premier, mais ce n’est pas une chose à laquelle j’ai envie de penser tout le temps.
Qu’est-ce que vous avez appris sur scène ?
Théo Lawrence: On a appris que jouer exactement la musique de l’album, ça donne un concert pourri. Il faut absolument essayer de foutre le feu à nos chansons. On cherche la porte d’entrée du kiff. Dès le début du concert on se demande comment on va réussir à choper le truc qui va faire qu’on va avoir du plaisir à jouer. Sinon, c’est très long. On a appris à bouleverser nos habitudes, à nous mettre en situation d’inconfort. Quand on voit tous ces dvd de rockeurs avec leur micros fixés, pépères… On veut absolument fuir ça et se mettre en danger, changer la setlist, ajouter un solo là où ça n’était pas prévu, déstabiliser les musiciens, se faire des shoots de live.
Est-ce que vous adaptez vos shows à la salle dans laquelle vous jouez ?
Théo Lawrence: Oui, il y a une volonté de ne pas faire de la musique de fête à la saucisse. Le but n’est pas de satisfaire les gens dans leurs plus bas instincts de vouloir un plus gros son. Dans la tendance actuelle, ça bastonne, c’est des grosses basses à fond. Moi, ça me fatigue. J’ai envie d’entendre des dynamiques, des nuances… Oui, on s’adapte à la scène, tout en essayant de ne pas être monolithique. Il y a des morceaux qu’on ne joue pas en festival, par exemple, parce qu’il faut qu’il fasse nuit pour les jouer.
Comment se passe le passage des titres d’album à la scène ? Il faut un temps pour imaginer de nouvelles choses ?
Théo Lawrence: En général, on commence par jouer le morceau plus ou moins comme on l’a enregistré et ensuite on essaye de s’en éloigner le plus possible. Souvent, on change beaucoup les arrangements de nos morceaux. On va jouer un arrangement pendant un mois et au bout de dix concerts, on en a marre. Pour ne pas détester le morceau, on le change. Nos morceaux sont toujours en transformation. Quand on estime qu’un morceau n’a plus de jus, on le balance à la poubelle. On s’en fout de jouer un album ou de vendre un produit commercial. Si j’avais envie de jouer une pièce de Beethoven dans son intégralité demain, on pourrait le faire. On n’est pas en train de se dire qu’il faut jouer le tube que les gens veulent entendre.
Infos pratiques :
Homemade Lemonade, le premier album de Theo Lawrence & The Hearts, est sorti en édition deluxe limitée le 5 octobre chez BGM/Warner. Le groupe sera en concert le 27 novembre au Trianon de Paris et le 18 janvier au Théâtre du Vésinet.
Propos recueillis par Kirana Chesnel // Photo : Jacques De Rougé