Silly Boy Blue : « Ma musique est un moyen de mettre des mots sur ce que je n’ai pas su dire »
Après avoir écouté en boucle Cecilia et The Fight, les deux uniques morceaux publiés jusqu’alors de Silly Boy Blue, on a enfin eu la chance de la découvrir en live lors de la dernière édition du MaMA festival à Paris. On a discuté backstage avec Ana Benabdelkarim, l’artiste qui se cache derrière ce nom emprunté à son idole de toujours, David Bowie. Dans l’intimité de sa loge, elle nous en a dit un peu plus sur son histoire, son projet et son tout premier EP But You Will, sorti le 26 octobre 2018.
On t’a connue comme moitié et chanteuse du duo Pégase. Te lancer en solo, c’est quelque chose dont tu avais envie depuis longtemps ?
Silly Boy Blue : Oui ! J’ai eu d’autres groupes aussi, même avant Pégase, au lycée et au début de mes études. C’est génial de jouer avec un groupe, tout ce que je sais je le dois d’ailleurs aux groupes dans lesquels j’ai été, mais c’est vrai que c’est un nouveau challenge de m’imposer en solo et de me dire que je peux gérer ça toute seule. Ça a toujours été un truc que je voulais accomplir, j’avais déjà commencé à composer des morceaux et j’ai eu le temps de me lancer lorsqu’on a fini de tourner avec Pégase.
En dehors du nom que tu lui as emprunté (Silly Boy Blue) à quels niveaux Bowie t’inspire-t-il ?
Silly Boy Blue : Bowie, c’est un artiste qui m’a accompagné toute ma vie. Je l’écoutais très petite avec mes parents, parce qu’ils avaient un best of. Et la première reprise que j’ai faite avec mon premier groupe, en 4ème ou en 3ème, c’est Moonage Daydream. A chaque étape de ma vie, j’ai découvert une période ou un album. Il m’inspire à tellement de niveaux. Mon mémoire, je l’ai fait sur les corps androgynes dans la musique de Bowie à Mykki Blanco : la plus grande partie, c’était sur lui. Tout me fascine complètement chez lui et je pense que je ne connais même pas encore le quart de ce qu’il a fait, car il a fait tellement de choses…
Ta musique est très empreinte de mélancolie, de quoi es-tu nostalgique en général ?
Silly Boy Blue : De pas mal de trucs. D’événements précis qui me sont arrivés, de ruptures, de séparations, de solitudes. Mais d’un autre côté, je suis aussi nostalgique de trucs plus subtiles, d’époques, de moments que j’ai vécus dans certaines villes, de gens avec qui j’ai été, avec qui j’ai traîné, etc… Ma musique c’est un moyen de mettre des mots sur ce que je n’ai pas su dire. Et la nostalgie c’est un sentiment très compliqué à expliquer pour moi verbalement, du coup j’utilise la musique pour exprimer ces sentiments hyper intimes qui relèvent de ce que tu as fait ou dit ou été.
Il y a aussi un côté années 80 dans tes morceaux. Quels sont les artistes de cette époque qui t’inspirent ?
Silly Boy Blue : Il y en a pas mal ! J’aime beaucoup toute la période Bowie dans les années 80 déjà, mais aussi la new wave. J’aime énormément New Order, Joy Division, Kraftwerk. Des trucs hyper électroniques comme Air, le premier live de Sexy Boy à la télé, tout ce qui est un peu vocoder à l’époque où ce n’était pas la mode. Les synthés, les bidouilles, ça me fascine car je ne maîtrise pas encore assez mais ça m’attire, je regarde plein de documentaires très intéressants à ce sujet et je mets pause toutes les 10 minutes pour bien comprendre. C’est un univers qui me parle beaucoup. Après, je suis aussi inspirée par une tout autre partie moins instrumentale des années 80, des trucs un peu plus kitchos comme Visage, Enola Gay, moins dark mais qui ont construit complètement la musique d’aujourd’hui.
A l’école primaire, j’étais gothique et j’avais une fascination pour Marilyn Manson
Tu as dit dans une interview que tu aimais beaucoup le métal. C’est très différent de ta musique…
Silly Boy Blue : Quand j’étais à l’école primaire, j’avais une grosse fascination pour le métal grand public genre Korn ou les trucs un peu trash genre Marylin Manson, Evanescence, Slipknot. J’ai beaucoup écouté pendant une longue période. J’étais gothique et je trouvais ça trop stylé. Je portais des collants rayés noirs et rouges avec une jupe en tulle noire et j’écoutais Avril Lavigne en disant que mes parents étaient trop cons ! Je n’écoute plus énormément de métal aujourd’hui mais il y a trois jours par exemple, j’ai réécouté Marilyn Manson, que je ne renie pas du tout d’ailleurs parce que c’est cool !
Qu’est-ce que tu y retrouves et tu y puises ? un sentiment, une émotion une technique ?
Silly Boy Blue : On me dit souvent que ma musique est différente de ce que je cite, de ce que j’écoute et c’est complètement vrai. C’est juste que pour le moment, la musique que je fais, je la fais comme je peux la faire, avec mes moyens et ma façon de composer. Peut-être qu’un jour j’aurais des connaissances de malade et que je pourrai faire tout un morceau avec des câbles modulaires, un solo de guitare vénère ou un morceau très classique avec un grand piano ! Pour l’instant, mes morceaux me viennent un peu naturellement et je ne dirai pas que je trouve directement comme ça de l’inspiration dans les choses qui ne me ressemblent pas, mais ça m’aide. Par exemple la musique de Marylin Manson ne ressemble pas à la mienne, mais l’intro de Sweet Dreams où il chuchote au début et amène une espèce de grosse tension, c’est un sentiment qui m’inspire vachement, sans parler même de la musique telle quelle. Juste cette espèce de truc lent et glauque où à un moment ça pète, je m’en sers comme en énergie et ça peut m’inspirer dans la technique.
Comment as-tu composé et enregistré ton premier EP ?
Silly Boy Blue : Avant de rencontrer mon label (Les Nouvelles Productions Indépendantes, ndlr), j’avais déjà composé plusieurs morceaux. Je leur ai présentés, ils ont aimé et c’est comme ça qu’on a signé. Ensuite, je les ai retravaillés en studio, avec Robin Leduc et Cyrus Hordé. On a gardé les morceaux mais on a refait les voix dans un micro parce que moi je le faisais chez moi toute seule avec ma carte son et mon chat à côté… DIY total ! On a refait des prises pour que ce soit plus clean, tout en gardant pas mal de bases des anciennes démos pour maintenir cette ambiance assez DIY.
Qui est Cecilia ?
Silly Boy Blue : En fait c’est un peu compliqué… il n’y a pas de rapport avec le morceau. C’est devenu a posteriori la fille qui est dans mon clip, Isabelle (de son vrai nom). Je l’ai choisie pour incarner Cecilia car je trouvais qu’elle représentait complètement la situation, cette fragilité, cette sensibilité et en même temps cette force. A la base, ce morceau est nommé comme ça parce que la personne dont je parle et à qui je m’adresse, la dernière fois qu’on s’est vues vraiment, c’était dans la rue la nuit et en face de moi il y avait un magasin avec marqué Cecilia en énorme en bleu, c’est à Strasbourg-Saint-Denis. C’était une nuit très dure pour moi et j’ai vu ce truc-là et je me suis dit que je me souviendrais de ce nom toute ma vie. Du coup, j’ai choisi de nommer mon morceau comme ça.
Et qui est Léa, évoquée dans le titre Lea’s Birthday ?
Silly Boy Blue : Léa joue dans le clip de The Fight. C’est une personne que j’ai rencontrée il y a deux ans sur internet et vue en vrai depuis. On ne se connaissait pas et on a parlé toute une soirée et à la fin de notre discussion, elle m’a demandé ce que j’étais en train de faire. Je lui ai répondu que j’étais en train de composer ce morceau et elle m’a dit : « ah trop bien ! Nomme-le d’après moi ! ». A minuit, c’était son anniversaire et du coup je l’ai fait. Ce morceau lui est complètement dédié. Je me souviendrai toujours que ce morceau, je l’ai composé alors que j’étais en train de lui parler. C’était une super soirée et une super relation. Je n’avais pas envie de lui donner un nom qui ne représente rien et je voulais qu’il soit un peu à elle aussi.
You’re cool évoque quelqu’un aussi ?
Silly Boy Blue : Oui ! Ce n’est pas Léa ni Cecilia. Le titre est un moyen de résumer tout ce que je n’ai pas pu dire à cette personne-là en un seul mot. Il y a eu beaucoup de culpabilité, de non-dits et beaucoup d’incompréhension dans cette relation-là. C’était un peu ma manière à moi de rassurer la personne et de lui dire « bah non, en fait t’es très cool, tout va bien, on avait tous les deux plein de problèmes et c’est pour ça que ça ne marche pas, mais ce n’est pas parce que tu as fait des trucs de merde. »
Tu as nommé ton EP But You Will et dans The Fight tu parles du fait de prendre conscience de ce que tu es capable d’accomplir. C’est une manière de te rappeler comme un pense-bête la direction à prendre ?
Silly Boy Blue : But You Will, c’est un bout du dialogue d’un film qui me parle beaucoup et auquel j’ai souhaité rendre hommage dans le titre de cet EP. The Fight, c’est le retournement de situation : l’envie de se battre, de dire que ce n’est pas juste, de dire que ça ne va pas de faire des choses comme certaines personnes ont pu le faire. J’avais besoin d’un titre assez fort et cet extrait du dialogue d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, c’est la scène de fin, quand Jim Carrey dit à Kate Winslet « je ne vois rien que je ne peux pas aimer dans ce que tu es. » Et elle lui répond : « But you will ». C’est une manière de dire « Mais si tu trouveras ! Tu trouveras des choses. »
La playlist de Silly Boy Blue :
Elliott Smith – Needle In The Hay
Propos recueillis par Aurélie Tournois // Photographie: Jacques de Rougé