We Hate You Please Die : « C’est pas avec le rock qu’on changera le monde, mais c’est un bon défouloir »
Le 3 octobre dernier, on a rencontré We Hate You Please Die pour une interview juste avant leur première fois à la Maroquinerie, en ouverture pour leurs copains de MNNQNS.
Vous allez ouvrir pour MNNQNS qui fêtent la sortie de leur premier album ce soir, qu’est ce que ça vous fait ?
Mathilde (batterie) : C’est du soutien ! C’est nos copains, ça fait plaisir de jouer avec eux à la Maroquinerie !
Joseph (guitare) : On avait déjà joué ensemble au 3 Pièces, un des bars à concerts rock à Rouen, c’est marrant de se retrouver dans un contexte complètement différent. C’était il y a un an et demi ! On n’a pas arrêté de se croiser entre temps, et, pour eux comme pour nous, il y a pas mal de trucs qui se sont passés depuis, ça fait bien plaisir.
Quand on les a rencontrés, ils nous ont dit que les groupes de Rouen étaient très proches humainement, mais pas forcément musicalement, qu’il n’y avait pas vraiment d’unité…
Mathilde : En fait à Rouen il y a beaucoup de diversité musicale. Nous on fait plus du garage punk, il y a des groupes plus pop, d’autres plus dark…
Du coup, vous ne vous sentez pas spécialement influencés par cette scène ?
Joseph : Par la scène peut être pas, mais par la dynamique assez vivante. On a pas mal de copains qui font de la musique, il y a pas mal d’échanges, quand on est avec des potes on se fait écouter des trucs, on va voir les concerts des copains… et pas que ! Il y a pas mal de concerts à aller voir à Rouen de groupes qui viennent d’un peu partout. C’est une bonne synergie !
MNNQNS sont très inspirés par la scène anglaise, on dirait que vous c’est plutôt la scène américaine qui vous influence…
Joseph : Peut être… Mais je crois qu’on ne se pose pas beaucoup la question. Mais peut être !
Raphaël (chant) : Je pense que les 3/4 viennent d’Amérique, ouais.
Joseph : Je ne crois pas qu’on essaye de se revendiquer « musique américaine », mais c’est vrai… maintenant que tu le dis, pas mal de trucs que j’écoute sont quand même américains.
Le nom du groupe est tiré du film Scott Pilgrim. Comment est-ce que vous avez fait la connexion entre cette pop-culture américaine et cet engagement dans votre musique qui est assez éloigné des films d’Edgar Wright…
Raphaël : Ça n’a pas été évident tout de suite, en fait. Dans le groupe, on est tous à notre manière politisés sur des trucs, mais ça fait partie de notre musique sans en faire partie. Et j’ai bien aimé cette idée dans Scott Pilgrim : cette digestion de culture/pop culture/sous culture mélangées à du rock. J’ai trouvé ça carrément « hors du temps » ce film. C’est quand même une histoire d’amour…complètement con en fait ! C’est un mec qui veut sortir avec une fille et il doit battre ses sept ex. J’aime bien ce ciné un peu foutraque. Ce film, c’est quelque chose sur le combat interne, et nous on voulait juste rapporter un peu ça, avec notre militantisme à petite échelle.
Joseph : On a tous des pensées un peu différentes, tu vois. Mais on sait que si on peux en placer une petite… C’est pas avec le rock qu’on changera le monde, mais ça peut être un bon défouloir. Si on peut faire passer des messages… Sinon, on sent qu’il y a un truc qui manque.
Il y a une expression qui revient souvent quand vous décrivez notre époque, c’est la « dissonance cognitive », vous pouvez nous en dire plus ?
Raphaël : Ça a été ma grosse lubie quand j’ai découvert le terme, parce que je trouve que ça représente vachement bien ce monde. Tu as des envies, et il y a des aspects de la société qui te révoltent mais c’est pas pour autant que… Tu vois : tu va prendre un Coca-Cola, et tu sais très bien que Coca-Cola assèchent des puits au Mexique et qu’ils vendent ça moins cher que de l’eau là-bas. C’est ça, la dissonance cognitive ! Tu fumes, tout en sachant que ça te tue. C’est bizarre. Je pense que tous les êtres humains sont dans la dissonance cognitive. On est en train de crever, mais pourtant on y va quand même, presque gaiement en fait. L’état est hyper critique, mais on y va pas paniqués.
Vous pensez que c’est propre à cette génération ? L’album s’ouvre sur la phrase « This generation is fucked up !«
Joseph : Je pense pas que ça soit propre à cette génération, il y a un certain temps que c’est en marche… Sans faire référence à Emmanuel Macron hein, vous vous en douterez ! (rires) C’est un peu ce côté répétition… Tout le monde a été un enfant et s’est vu inculquer des valeurs qui ne sont pas du tout en adéquation avec un monde idéal. On rejette toujours la faute un peu sur les enfants : « ça sera à vous de réparer ça, et ça…« . Mais en fait, tout ça c’est un cycle. Malheureusement.
Raphaël : La différence avec nos parents et nos grands parents c’est qu’on a accès à l’information. C’est sûr que tu es dix fois plus vite scandalisé…
Joseph : …Mais on n’agit pas dix fois plus, par contre.
Raphaël : Tu as un super exemple qui s’est passé la dernière fois : Il y a une usine qui pète à Rouen : tu en entends parler une heure. Et après, Chirac meurt. Bam! Il n’y a plus rien à la radio. Mais nous, on dit ça parce qu’on en vient de Rouen. On l’a vécu en direct. On se barrait pour un concert, il y a une usine qui pète : »ouah, c’est scandaleux… » et tout, Chirac meurt, plus rien sur les radios, plus rien sur les ondes… t’es obligé de demander aux potes de Rouen comment ça va. C’est grave en vrai, mais on a l’impression que c’est pas si grave… En gros, ça a pété, c’est genre un bon feu de camp.
Beaucoup de groupes et d’artistes contestataires ont vu leur époque, leur génération, comme quelque chose de pire que tout ce qu’il y avait eu avant. Les punks disaient déjà « No Future » dans les années 70. Pour vous, cette génération « fucked up« , c’est vraiment la pire ?
Raphaël : C’est plus la « pire époque » que la « pire génération ». Le problème, c’est qu’on a l’impression qu’il y a une deadline. Les punks, quand ils disaient « no future« , ils s’en battaient un peu les couilles… Ils avaient peut être déjà des notions de trucs qui allaient mal, mais je ne pense pas qu’on leur disait « Ah, 2030 : c’est kaput, le système s’effondre« . Je ne sais pas, il faudrait en parler avec des punks. Il y en aura peut être ce soir ?
« Notre second album sera peut-être plus fun »
Vous êtes un groupe reconnu pour avoir un discours et une attitude assez sincère et direct. Je pense que ça n’est pas très en vogue dans la musique actuelle, mainstream comme indé… Est-ce que vous avez l’impression parfois que certaines de vos décisions peuvent vous fermer des portes ?
Raphaël : Il y a un mec pendant une interview qui nous a dit que c’était un peu ringard d’avoir un peu un côté militantisme dans la musique…
Joseph : Il avait dit « je ne sais pas si vous savez, mais c’est pas du tout vendeur de se plaindre » en gros.
Raphaël : Mais bon, si on peut placer des petites pichenettes au passage… On reste quand même à faire de la musique quoi. Vaut mieux ça que s’engager dans un parti politique.
Joseph : C’est un peu un vecteur de transmission, une façon de s’exprimer. On se dit « autant l’utiliser à bon escient« , plutôt que de rentrer dans un personnage et ne pas en sortir « juste pour la musique« . On trouve ça cool que ça aille un peu au delà de la musique. Si ça peut être utile.
Il y a quelques semaines vous étiez à Rock en Seine, et tu as dit quelque chose comme « c’est cool mais ça serait mieux sans les sponsors Coca-Cola et Nestlé…« , c’est quelque chose qu’on entend rarement dans ce genre de festival, vous avez l’impression d’être un peu à part ou en décalage par rapport à ça ?
Raphaël : Je ne sais pas… Quand on a dit ça, c’est juste qu’on avait des petits cas de conscience au départ… C’est comme quand tu as des allergies : tu va regarder ce qu’il y a dans le menu. C’est un peu pareil, tu vois. C’est quand même bien de se renseigner, de savoir chez qui tu joues. Mais l’accueil était super, on ne va pas bouder notre plaisir ! C’était super Rock en Seine, on a vraiment passé un moment extra. Mais on se posait des questions : « Qui fout des ronds ? » C’est un corps politique qui fait vivre la culture, qui a le mécénat. Qu’est-ce que tu es prêt à accepter pour qu’un mécène sponsorise ton festoche ? Il pourrait y avoir pire hein, c’est juste qu’on a pris des exemples… C’est pas parce que « Oh, regardez, je me fous un sponsor, je suis cool, c’est de la culture, les jeunes s’éclates… » Je ne reviens pas sur le Mexique mais ça n’aurai pas le même écho là bas. Va sponsoriser un festoche là-bas…
Vous prenez aussi des décisions comme ne pas être sur Apple Music, par exemple (Ce qui m’a permis au passage de découvrir qu’il y avait un autre groupe qui s’appelle « Please Die » et qui fait du hardcore)
Mathilde : Ah, ouai ouai !
Raphaël : On l’a vu celui là !
Joseph : Il y a des synonymes ! (rires)
Une décision comme ça, c’est un risque …
Mathilde : En fait, de base quand on s’est inscrits sur toutes les plateformes sauf sur Apple Music et Amazon Music, ça l’a fait automatiquement, et c’est quelque chose qu’on ne voulait pas vraiment faire, parce qu’Apple et Amazon c’est un peu les gros trucs hyper capitalistes… On est pas forcément d’accords avec tout ça. On les a retirés depuis. Mais on a fait des choix : on les a mis sur YouTube, parce que c’est un peu plus « honnête », c’est gratuit et ça permet à ceux qui ne peuvent pas acheter notre CD et qui veulent écouter leur musique chez eux de le faire gratuitement, c’est plus cool pour eux que de dépenser de l’argent pour un album.
Raphaël : Ça reste Google, mais c’est gratos !
Pour vous ça n’est pas un frein ? Vous arrivez à prendre ce genre de décision facilement ?
Mathilde : On en parle entre nous. Pour le moment on est pas bloqués par ça, on n’a pas encore une notoriété qui nous impose d’être sur certaine plateforme ou d’avoir des CDs à la Fnac. Et c’est très bien.
Vous allez faire un second album, je ne sais pas quand il va sortir mais j’imagine que vous travaillez déjà dessus ?
Joseph : On ne sait pas quand non plus, mais on y travaille de plus en plus. En automne on va faire pas mal de concerts, en 2020 on devrait y voir vachement plus clair.
Raphaël : On a fini de l’écrire à 90% à peu près.
Le deuxième album c’est un palier super important pour un groupe, ça vous met une pression particulière ?
Mathilde : Un peu, quand même. Kids Are Lo Fi c’était un peu notre bébé, on veut que le prochain album soit encore mieux et qu’on soit toujours aussi contents de ce qu’on fait. On a hâte de l’enregistrer et de le sortir, on ne sait pas trop encore quand. Il y a la même attention que pour le premier album, on a pas changé, on a pris un peu plus de maturité musicale mais ça reste avec la patte « We Hate You Please Die ».
Raphaël : Il sera peut-être plus fun. Moi je le trouve vachement fun le nouveau.
Mathilde : Plus joyeux.
Raphaël : Plus de grand écarts sur des breaks rythmiques, ça change vraiment d’ambiance, il y a beaucoup plus de place au chant des autres. Il y a des directions qu’on teste et qui apparemment plaisent bien, il y a des trucs très pop.
Mathilde : Il y a plusieurs morceaux qu’on joue déjà sur scène depuis longtemps.
Kids Are Lo Fi, le titre du premier album, ça veut dire quoi sur la jeunesse ? Ils sont une version « lo fi » de ce qu’ils pourraient être ?
Mathilde : C’est plus « défectueux » en fait.
Joseph : C’est en lien avec ce qu’on disait tout à l’heure sur les reproductions générationnelles de trucs pas ouf.
« Lo fi » dans la musique ça n’est pas forcément un terme négatif…
Mathilde : Non… Personnellement c’est un truc un peu décalé que tu n’as pas l’habitude de voir, mais pour moi la musique lo fi et Kids Are Lo Fi ça n’est pas du tout la même chose. Kids Are Lo Fi ça veut dire « les enfants sont défectueux », et pour la musique lo fi c’est un truc un peu plus barré, pas du tout péjoratif.
Raphaël : C’était plus histoire de souligner qu’on évolue dans un monde méritocratique, où tu es toujours en compétition dès l’école, où il y a une certaine idée de la morale de la civilisation, ça t’use le cerveau, tu as passé ton bac, ta licence, ton master, tu chopes un métier et tu te rends compte que tu es malheureux, ça ne va pas. Ouai t’as de la thune, ouai tu te payes des trucs… Bon, on parle pour nous, je pense qu’il y en a qui s’en contentent très bien, mais ça fait des générations nourries aux Xanax et aux antidépresseurs, parce que la compétition dure après en fait, tu peux jamais te reposer parce que tu es harassé de devoir te comparer à d’autres gens, tu ne trouves pas ta place et tu te sens malheureux. C’est plus ça : les enfants ne sont pas du tout ce que vous avez voulu en faire quand vous en avez fait. Vous les avez juste foutus dans un moule en essayant de reproduire le vôtre, sachant que le vôtre était plein de non-dits et que vous étiez déjà un peu défectueux dans vos têtes…
LA PLAYLIST DE WE HATE YOU PLEASE DIE
Fontaines D.C. – Too Real
Parquet Courts – Almost Had To Start A Fight
Sextile – Hazing
Nirvana – Ain’t The Shame
Photos et propos recueillis par 19lapins